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craignant pour lui-même une fin semblable, descendit de l’Irr-Kajpij en se laissant glisser à l’aide de courroies jusqu’à sa base. Là, il trouva un bateau qui le porta jusqu’à l’île de Schalanrov, où il se retrancha dans une hutte de terre qui était encore debout du temps de Wrangel. Les gens de Krœchoj, qui appartenaient à sa tribu, le rejoignirent sur quinze barques, et tous ensemble ils partirent dans la direction du nord pour le pays que l’on aperçoit du cap Jakan les jours de soleil. L’hiver suivant, une autre tribu, alliée à celle de Krœchoj, disparut avec ses rennes. D’autres tribus prirent la même direction que celle suivie par les Onkilons.

Les Yakoutes, qui vivent sur les berges du Kolyma, ne sont donc pas plus originaires de la côte que ne le sont les Tchouktchis, car il paraît certain que quatre peuples se partageaient autrefois le pays : les Omokis, les Schelagis, les Tungusis et les Yukagivis. Les deux premiers ont disparu, tués par les immigrans ou par des maladies ; les deux autres vivent en nomades et voient leur nombre diminuer tous les jours.

Un des amis indigènes du professeur Nordenskjöld lui présenta un ancien chef qui prétendait descendre des Omokis. Cet homme était fort orgueilleux d’avoir conservé le langage de cette tribu dans sa famille ; il s’en servait pour raconter les hauts faits de ses ancêtres. D’après son dire, le long des rives du Kolyma, au nord de l’Omolon, vivaient il y a bon nombre d’années ces Omokis, peuple paisible et si nombreux que, selon un dicton populaire, il y avait plus de foyers omokis que d’étoiles au ciel. Ils se nourrissaient des produits de leur chasse et de leur pêche ; ils avaient connu cependant l’usage du fer bien avant l’apparition des Russes dans leur pays. Mais l’arrivée de ces derniers causa leur perte ; ils furent assaillis par des maladies inconnues jusqu’à ce moment. Alors ces peuplades se décidèrent à émigrer ; formées en deux camps, elles partirent avec leurs troupeaux sans qu’on ait jamais su ce qu’elles étaient devenues. A l’embouchure de l’Indigirka, on trouve encore des traces d’habitations que les vieillards les plus âgés ne virent jamais occupées, quoique, selon Wrangel, le lieu où elles s’élèvent ait gardé le nom primitif de ville des Omokis. On suppose aujourd’hui que ces émigrans auraient atteint le Groenland par les nouvelles îles sibériennes, en traversant la terre de Wrangel et les îles de l’Archipel arctique, en Amérique. Les habitans actuels du Groenland, les Esquimaux, seraient donc les descendans des Omokis et des autres peuplades de cette partie de l’Asie qui ont fui à l’approche des Russes.

Il est du reste à remarquer que le similitude des usages domestiques entre les Tchouktchis et les Groënlandais se manifeste jusque dans les plus petits détails.