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village de Pitlekaj, à 3 ou 4 milles à l’est du cap, à 120 milles seulement du détroit de Behring ! Un vent constant du nord et une ceinture de glaçons que nulle force humaine ne pouvait briser, contraignirent le malheureux bateau à ce long hivernage. Ne nous en plaignons pas ; car, grâce à cette circonstance, nous aurons de la plume même du professeur Nordenskjöld, sur la péninsule Tchouktchisse et sur ses habitans, une étude dont l’intérêt ne peut être mis en doute.


III

Deux promontoires élevés, l’Irr-Kajpij, le cap Nord de Cook, — et l’Ammon, enserraient le golfe où la Vega se trouvait prise. Ce golfe, ouvert au nord, était plein de glaçons tellement épais que, le navire adossé à ces murailles de cristal pouvait s’y croire abrité comme dans un port des plus sûrs. Le promontoire de l’Irr-Kajpij a 300 pieds d’élévation ; il descend, vers l’ouest, perpendiculairement dans la mer ; au sud et au sud-ouest, il s’unit au continent par une langue de terre basse et étroite. L’autre promontoire, l’Ammon, situé à l’est, descend considérablement dans la mer malgré son peu d’élévation, 200 pieds. Au fond du golfe, sur une plage sablonneuse, s’élève Pitlekaj, un village tchouktchis, composé de dix-huit tentes, adossée à une montagne appelée Hamnong-Ammon, de 500 pieds de haut. Les explorateurs se trouvant bloqués, ils se hâtèrent de faire connaissance avec des indigènes dont les usages et le genre de vie ouvraient un large champ à leurs observations. En outre, l’Irr-Kajpij avait une importance historique qu’elle doit aux vestiges qu’ont laissés là des habitans antérieurs aux Tchouktchis, les Onkilons, un peuple marin qui occupait jadis toute la côte, du cap Schelagskoï jusqu’à l’Anadyr, et qu’on ne rencontre plus aujourd’hui, de ce dernier point au cap oriental, que dans quelques rares villages. Voici ce que Wrangel[1] raconte de l’expulsion de ces peuples d’une terre qui, de tous les temps, avait dû leur appartenir. Au commencement du XVIe siècle, Krœchoj, chef des Onkilons, ayant tué un errim ou chef tchouktchis, fut poursuivi par le fils de celui-ci. Krœchoj, après avoir erré pendant quelques jours au bord de la mer, chercha un refuge sur l’Irr-Kajpij, qu’il fortifia. On y distingue encore, vers le sud, des abris souterrains et des retranchemens qui n’ont pas d’autre origine. Le fils du chef assassiné trouva moyen d’arriver jusqu’au sommet de l’Irr-Kajpij ; il y tua le fils de son ennemi. Selon la coutume, cette mort devait terminer la querelle ; mais Krœchoj

  1. Wrangel, Narrative of an expedition to the polar sea in the years 1820, 1821, 1823 ; London, 1840. — Le Nord de la Sibérie ; Paris, Amyot, 1843, 2 vol.