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procédés de fabrication étaient donc absolument les mêmes que ceux des anciens sauniers de la Basse-Normandie, qui, jusqu’au dernier siècle, persistaient à faire bouillir dans de grandes bassines une eau mêlée de sable de mer, jusqu’à ce que ce bain eût pris une consistance suffisante pour permettre de retirer le sel fondu. C’est encore, on le sait, le mode d’exploitation de quelques salines de l’Est et des Pyrénées, où l’on emploie le combustible, à défaut de soleil, pour chauffer et concentrer dans des chaudières des eaux naturellement salées.

Il est probable cependant que l’évaporation à l’air libre des eaux des étangs directement alimentés par la mer et exposés dans de vastes bassins très peu profonds à l’ardeur du soleil du Midi a dû être en pleine activité dans la région maritime du bas Rhône dès l’origine même de la civilisation. Il est sans doute bien difficile de se rendre compte de la manière dont cette fabrication était organisée et réglementée ; et l’industrie du sel n’a consisté pendant longtemps que dans la récolte, après les sécheresses de l’été, des efflorescences qui se déposaient sur les berges et dans les cuvettes des marais salans.

On sait cependant que, dès le XIIe siècle, les salines de la Provence et du Languedoc étaient de véritables fiefs. En 1284,l’abbé de Psalmodi et le seigneur d’Uzès passaient une convention au sujet de leurs salines respectives. L’original de cet acte, qui faisait autrefois partie des archives du monastère, est conservé dans celles de la préfecture du Gard ; et on y retrouve des indications fort précieuses pour l’ancienne topographie locale. Les seigneurs abbés et les barons d’Uzès y mentionnent les pêcheries, les étangs et les marais situés au sud d’Aigues-Mortes, qui portent encore aujourd’hui les mêmes noms qu’au XIIIe siècle, ce qui est une preuve évidente que la mer à cette époque ne venait pas plus qu’aujourd’hui battre le pied des remparts de la ville ; ils décidaient en outre, en bons voisins, que les mesures, boisseaux ou setiers employés dans leurs salines seraient tous de même dimension ; ils stipulaient enfin que les ouvriers chassés de l’exploitation des uns ne seraient jamais reçus dans l’exploitation des autres. C’était, on le voit, une véritable coalition de patrons ; et la féodalité religieuse et militaire du moyen âge était en quelque sorte doublée d’une féodalité industrielle assez bien organisée.

Les premières salines de Peccais étaient trop productives pour ne pas prendre bientôt un très grand développement. Le grand prieur de Saint-Gilles, qui était en même temps un des principaux dignitaires de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, possédait des terres un peu partout dans la région du bas Rhône ; il ne tarda pas à en convertir quelques-unes en salines qui ont conservé le nom de « salines