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REVUE DES DEUX MONDES.

De Beaucaire à Nîmes, de Nîmes à Montpellier et à Cette, le tracé du chemin de fer ondule à flanc de coteau, dominant d’une vingtaine de mètres en moyenne une immense plaine horizontale, à peine bosselée par quelques ondulations superficielles. La plaine s’étend au midi, se transforme peu à peu en étangs et en marais et se termine à la mer. À côté du chemin de fer, souvent même à une distance assez rapprochée pour qu’on ait dû séparer les deux voies par un mur de clôture, se trouve la grande route de terre, l’un des plus beaux legs que les états de Languedoc aient faits à la France moderne, et qui n’a rien perdu de son importance malgré la redoutable concurrence qu’elle soutient depuis bientôt un demi-siècle. Mais il y a plus ; et sur cette ancienne route de la province on voit encore se dresser, de distance en distance, quelques-unes de ces bornes monumentales qui avaient servi au mesurage officiel de la voie romaine.

Tout le monde sait aujourd’hui que, plus de deux cents ans avant notre ère, il existait une route stratégique entre le Rhône et une colonie gréco-ibérienne jadis célèbre sous le nom générique d’Emporium, qui signifie marché ou entrepôt de commerce, et dont la ville moderne d’Ampurias, en Catalogne, a pris à la fois la place et le nom. Polybe, qui écrivait vers l’an 600 de Rome, c’est-à-dire cent cinquante ans environ avant Jésus-Christ, nous donne la description détaillée de cette route que des réparations considérables, exécutées quelque temps après son établissement par le consul Cn. Domitius Ahenobarbus, vainqueur des Allobroges, devaient faire désigner bientôt sous le nom de voie Domitienne, via Domitia. Elle se terminait au Rhône au pied de la colline de Beaucaire, Ugernum ; mais une ramification longeait la rive droite du fleuve jusqu’à Arles. On franchissait donc le Rhône à la fois à Beaucaire sur un pont de bateaux, et à Arles sur un pont en maçonnerie dont les culées antiques subsistent encore aujourd’hui et sont apparentes sur le nu des murs du quai moderne dans lesquels on les a soigneusement conservées. De l’autre côté du fleuve, la route prenait le nom de voie Aurélienne, via Aurelia¸ traversait toute la Provence, s’écartait en général assez peu de la mer, suivait même en certains endroits la ligne escarpée de la falaise et venait se souder, sur le torrent du Var, au réseau des voies italiennes.

L’assiette de la voie Domitienne est visible sur presque tout son développement entre Beaucaire et Montpellier. L’administration romaine y avait fait disposer à différentes époques cinq séries de bornes plantées à 8 stades de distance. Cet espacement correspond exactement au mille romain ; de là leur est venu leur nom de milliaires.

La première série de ces bornes, celle qui existait déjà depuis quelques années du temps de Polybe, bien avant la conquête défi-