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« Sœur Elizabet de Sainct-Sauveur, possédée d’Asmodée ;

« Sœur Françoise de l’Incarnation, possédée de Calconix[1]. »

Parmi les religieuses ainsi atteintes, il y en avait deux plus malades que les autres, la sœur Anne de la Nativité et la sœur Magdeleine Bavent. Comme il arrive souvent en pareil cas, elles se détestaient et s’accusaient réciproquement de forfaits abominables. Par malheur, une de ces deux filles, Magdeleine Bavent, s’imagina que son confesseur, mort depuis quelque temps, le prêtre Picard, était un sorcier, l’instigateur, le complice de tous ces diables.

Il existe un livre curieux, assez rare, je crois[2], qu’on pourrait intituler : Mémoires de Magdeleine Bavent. Lorsque cette religieuse fut emprisonnée à Rouen, le R. P. Desmarets, de l’Oratoire, lui conseilla d’écrire le récit de sa vie. Le manuscrit confié au père Desmarets, probablement revu et recopié par lui, fut imprimé en 1652. Cette étrange confession d’une folle, Michelet l’a prise au sérieux. C’est avec les hallucinations, les visions de cette hystérique que l’historien a essayé de retracer les épisodes de la possession de Louviers. Comment un écrivain d’un tel génie s’est-il laissé abuser à ce point ? Comment n’a-t-il pas vu à chaque ligne de l’autobiographie de Magdeleine percer la fourberie maladive ou le délire fantasque de l’hystérie ? Faut-il croire que le vieux prêtre David, le prédécesseur de Picard, faisait mettre bas tous habits aux religieuses, pour leur donner la communion dans l’état de pureté d’Eve avant le péché ? Faut-il admettre que David ait légué par testament son corps à Béelzébub ? Faut-il être assuré que Picard et Boullé allaient au sabbat en compagnie de Magdeleine ? Il est possible à la rigueur qu’il y ait dans la confession de Magdeleine quelques vérités éparses, mais la malheureuse est tellement folle qu’on ne pourra jamais distinguer dans ce fatras ce qui est faux et ce qui est véritable. Autant ce livre est intéressant au point de vue psychologique, autant au point de vue historique il a peu de valeur. Si on faisait quelque fond sur lui, on serait aussi crédule que Messieurs de l’Officialité d’Evreux et du Parlement de

  1. Récit véritable de ce qui s’est fait et passé à Louviers, touchant les religieuses possédées. Extrait d’une lettre écrite de Louviers à un évêque. Paris, Beauplet, 1643.
  2. Histoire de Magdeleine Bavent, religieuse du monastère de Saint-Louis de Louviers, avec sa confession générale et testamentaire, où elle déclare les abominations, impiétés et sacrilèges qu’elle a pratiqués, et vu pratiquer, tant dans ledit monastère qu’au sabbat, et les personnes qu’elle y a remarquées. Ensemble l’arrest donné, contre Mathurin Picard, Thomas Boullé et ladite Bavent, tous convaincus du crime de magie. Dédié à Mme la duchesse d’Orléans, à Paris, chez Jacques Legentil (1652). Ce livre, ainsi que toutes les plaquettes et tous les mémoires où il est question des possédées de Louviers, a été réimprimé à Rouen (1879), avec son titre et le titre suivant : Recueil de pièces sur les possessions des religieuses de Louviers (impr. Léon Deshays).