Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/858

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fourneau refusa. Malgré cet adoucissement, la torture fut terrible. Les jambes étant liées, on enfonça des coins à coups de maillet entre les cordes, de manière à ce que les os fussent broyés. Cependant Grandier, quoi qu’en aient dit ses accusateurs, n’avoua rien ; il reconnut cependant qu’il était l’auteur d’un manuscrit trouvé dans ses papiers, et qui traitait du célibat des prêtres.

Le 18 août 1634, Urbain Grandier, curé de Loudun, fut conduit à la place de Sainte-Croix, à Loudun, attaché à un poteau sur le bûcher, et brûlé vif, avec les pactes et caractères magiques témoignant l’énormité de son crime[1].

La légende raconte que tous ceux qui avaient contribué à la mort de Grandier, assignés par le prêtre innocent au tribunal de Dieu, furent punis dans un bref délai. Cependant Jeanne de Belciel, la supérieure, vécut encore assez longtemps, et quitta la vie en odeur de sainteté. Laubardemont ne mourut qu’en 1651. Il est vrai que le père Lactance, le père Surin, le père Tranquille, le chirurgien Mannoury, tous personnages, qui, à des degrés divers, avaient contribué à la mort de Grandier, furent saisis par les mêmes diables dont ils avaient recueilli les accusations. C’est dire qu’ils devinrent fous, ou peu s’en faut. Il est probable que le spectacle effrayant qu’avaient présenté les hystériques du couvent dans leurs convulsions et leur délire ne fut pas sans exercer une fâcheuse influence. Peut-être même, sinon le remords, au moins l’incertitude d’avoir bien jugé, ont contribué à développer cette démonopathie chez les juges. C’est un signe des temps. Ni Rémi ni Bodin n’ont eu de remords. Ils ont vécu satisfaits de leur œuvre, pensant que rien n’est plus agréable à Dieu et propre au salut que le brûlement d’une sorcière. En 1634, il en est déjà tout autrement. Le père Lactance meurt dans des convulsions horribles, trente jours après Grandier ; le père Surin est saisi par Isaacaron, le démon de

  1. M. Légué, dans son livre sur Urbain Grandier, donne le fac-simile d’une estampe populaire extrêmement rare (il n’en reste probablement qu’un exemplaire), représentant la mort de Grandier. Cette image, destinée aux gens du peuple, est accompagnée d’une légende assez naïve : « Urbain Grandier, curé de ladite ville, étoit natif du pays du Maine, magicien de profession. Il y a environ neuf ans qu’il fut reçu magicien, et marqué par Asmodée, le démon de luxure, lors de son institution, avec une marque faite en patte de chat, en quatre endroits, savoir… toutes lesquelles marques ont été trouvées, comme a dit Asmodée, aux exorcismes que faisoit Mgr l’évêque de Poitiers, assisté du R. P. Lactance, récollet. Ledit curé a trois frères, dont il y en a deux sorciers, et marqués, lesquels ont quitté le pays. Le diable et le curé s’entre-promirent trois choses : la première le rendre un des plus éloquens de ce temps, et de fait c’étoit merveilles de l’entendre ; la seconde qu’il le feroit jouir des plus belles et principales demoiselles de Loudun, la troisième de lui donner un chapeau rouge (et moi je ne pense pas que le diable en ait entendu un autre que celuy de feu et de flamme, qu’il n’a pu éviter et qu’il a bien mérité). »