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procès de Gaufridi. Les personnages ont changé ; mais le drame est le même. Des religieuses folles, hystériques, accusent un prêtre de les avoir ensorcelées, et le prêtre expie sur le bûcher ce crime imaginaire.

La scène se passe à Loudun, au couvent des ursulines. Les ursulines étaient des demoiselles nobles, assez instruites, ayant lu la Bible et parlant quelque peu le latin. L’une d’elles, Claire de Sazilly, était parente du cardinal de Richelieu ; la supérieure, celle qui fut malade la première, s’appelait Jeanne de Belciel. La maladie épidémique qui sévit plus tard, et avec tant de fureur, parmi les religieuses, commença en 1631, et peut-être plus tôt. En tous cas, elle resta à peu près ignorée, connue seulement de Mignon, confesseur de la supérieure. Mignon fit comme Romillion à Aix ; il essaya d’exorciser les diables ; mais, n’y réussissant pas, il s’adjoignit un prêtre fanatique, nommé Barré, qui était curé de Saint-Chinon. Le premier exorcisme public a lieu le 11 octobre 1631 devant Guillaume de Cerisay, bailli de Loudun, homme d’un esprit ferme et d’un grand courage, et devant Mannoury, chirurgien, lequel joua dans toute cette affaire un assez vilain rôle. Les démons exorcisés disent qu’Urbain Grandier est le sorcier qui les a convoqués.

Ce Grandier, curé de Loudun, élevé par les jésuites de Bordeaux, était un orateur éloquent, passionné, de grande mine. Intelligent et orgueilleux, il avait par ses allures provocantes, son mépris de l’opinion vulgaire, plus que par ses mœurs trop galantes, mécontenté et excité contre lui une partie de la ville. Quant aux religieuses, on ne peut douter que cet homme d’un esprit supérieur et d’une grande renommée n’ait fait une vive impression sur leur imagination. Grandier dédaigne l’accusation que portent contre lui Mignon et Barré. Son supérieur de Bordeaux, le belliqueux évêque de Sourdis, ancien marin, ne fait que rire de ces histoires de diables. Le bailli, sa courageuse femme et un médecin nommé Duncan, avaient par des preuves irréfutables démontré la vanité de tous les motifs de l’accusation, de sorte que pendant l’année 1632 et le commencement de 1633, on put croire qu’Urbain Grandier était sauvé.

Les démons cependant n’en continuaient pas moins leurs ébats. La renommée porta le récit de leurs hauts faits dans toute la France.