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mais une des lumières de son siècle. Son fameux chien noir n’est pas le diable, mais un simple chien, très dévoué à son maître, et qui n’a rien de diabolique. Gabriel Naudé est singulièrement hardi dans ses appréciations. « Il semble, dit-il, que ce soit la propriété essentielle des philosophes mathématiciens et naturalistes d’être réputés magiciens, puisque les jurisconsultes et théologiens n’en ont jamais été accusés. Tous les pays qui avaient des gens doctes se pouvaient assurer d’avoir des magiciens, desquels nous voyons que par le défaut des premiers, l’Allemagne s’est toujours montrée assez stérile. Comme s’il n’y avait pas d’autres écoles que les cavernes de Tolède, d’autres livres que les Clavicules (terme de magie), d’autres docteurs que les diables ! » Quant aux livres de sorcellerie, Naudé les traite comme il convient. « C’est une chose étrange que Del Rio, Le Loyer, Bodin, de Lancre, Godelmann, qui ont été ou sont encore personnes de crédit et de mérite, aient écrit si passionnément sur les démons, sorciers et magiciens que de n’avoir jamais rebuté aucune histoire, quoique fabuleuse et ridicule, de tout ce grand nombre de fausses et absurdes qu’ils ont pêlemêlées sans discussion parmi les vraies et légitimes. Il seroit grandement à souhaiter qu’ils fussent dorénavant plus religieux à n’avancer aucune histoire qu’après en avoir soigneusement examiné toutes les circonstances, et qu’ils voulussent balancer toutes choses à leur juste prix et valeur, pour ne se laisser induire à faire un jugement sinistre de quelqu’un sans grande occasion, et à forger ces accusations frivoles, pleines de vent et de mensonges, puisque, quand on vient à les examiner de près, on trouve ordinairement que ce ne sont rien que pures calomnies, soupçons mal fondés et paroles vaines, légères et étourdies. »

De fait, la sorcellerie était morte (1625), et les procès qui se firent après cette époque doivent être considérés comme des anachronismes. C’est pour cette raison sans doute que le procès d’Urbain Grandier est si célèbre. La conscience publique, qui avait sommeillé jusque-là, s’est enfin éveillée. De là un grand retentissement et une générale émotion[1]. Le procès d’Urbain Grandier ressemble au

  1. On en retrouve la trace dans les nombreux pamphlets publiés alors sur le procès de Grandier : Extrait des registres de la commission, etc. (Poitiers, 1634) ; Traité de la mélancolie, tiré des réflexions de M… sur le discours de M. Duncan (La Flèche, 1635) Apologie pour M. Duncan contre le traité de la Mélancolie. Récit véritable de ce qui s’est passé à Loudun (Paris, 1634) ; Véritable relation, etc. (Paris, 1634) ; l’Ombre d’Urbain Grandier, sa rencontre avec Gaufridi (in-8°, 1634) ; la Démonomanie à Loudun (Loudun, 1636) ; Admirable changement. de vie d’un jeune avocat (in-12, Loudun, 1636) ; Véritable relation etc., par le père Tranquille (in-12, La Flèche, 1634) ; Interrogatoire de M. Grandier (in-8°, Paris, 1634). Il faut joindre à ces livres l’Histoire des diables de Loudun (Amsterdam, 1694) ; Cruels effets de la vengeance du cardinal de Richelieu (Amsterdam, 1716) ; Examen et discussion critique, etc. (Liège, 1749). On voit que c’est toute une bibliographie. Cependant il n’y a là qu’une indication sommaire.
    Au moment où je corrige les épreuves de cet article, je reçois communication d’un livre qui va paraître dans quelques jours chez L. Baschet (Paris, 1880) avec ce titre : Urbain Grandier et les Possédées de Loudun. M. le docteur Légué a pu, sur un sujet si souvent traité, et qui paraissait épuisé, réunir un très grand nombre de précieux documens inédits. Malheureusement les limites que je me suis assignées m’empêchent d’entrer dans plus de détails.