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l’étrangler. Au dîner, les diables lui donnèrent la torture et la tourmentèrent par continuels mouvemens de la tête jusqu’à terre ; et au souper, lui donnèrent la même torture durant une heure, lui tournant les bras et les jambes et puis tout le corps, faisant cliquer les os, et bouleversant toutes les entrailles ; la torture finie, l’assoupirent tellement qu’elle sembloit morte. »

Que Madeleine ait été séduite par Gaufridi, à qui elle avait été confiée par Mme de la Palud, sa mère, étant encore toute petite fille, cela est possible, mais non prouvé, comme le croit Michelet. Il ne faut pas tenir compte, pour charger un malheureux, des soi-disant révélations d’une hystérique. Ces révélations sont les hallucinations du délire et n’ont aucune réalité. D’ailleurs, ce n’est pas Madeleine qui accuse Gaufridi, c’est surtout Louise, qui l’appelle le prince des sorciers. « Il est plein d’iniquités. Il feint de s’abstenir de la chair, et toutefois ils se soûle de la chair des petits enfans. O Michaélis, les petits enfans qu’il a mangés, les autres qu’il a suffoqués, et puis après déterrés, pour en faire des pâtées, crient tous vengeance devant Dieu pour des crimes si exécrables. » Quant à Madeleine, dans l’intervalle de ses accès, elle est saisie d’horreur en pensant que par elle Gaufridi mourra. A plusieurs reprises, elle essaie de se tuer, mais le courage lui manque, et, à trois reprises différentes, ses tentatives de suicide échouent. Dans ses accès et surtout en présence de Louise, dont le délire exalte le sien, Madeleine lance des imprécations contre Gaufridi. Triste et lamentable spectacle que celui de ces deux folles accusant un innocent de crimes imaginaires ! Après que Louise accuse Gaufridi de manger des petits enfans, Madeleine ajoute en riant, et en se gaussant : « Il s’en soucie bien de votre merluche et de vos œufs, il mange de bonne chair de petits enfans qu’on lui apporte invisiblement de la synagogue. » Le pauvre prêtre jure par le nom de Dieu, par la Vierge et par saint Jean-Baptiste que toutes ces accusations sont fausses. « Je vous entends, dit Madeleine. Parlant de Dieu le Père, vous entendez Lucifer ; par le Fils, Béelzébut ; par le Saint-Esprit, Léviathan ; par la Vierge, la mère de l’Antéchrist, et le diable, précurseur de l’Antéchrist, vous l’appelez saint Jean-Baptiste. »

Gaufridi sentit qu’il était perdu. Le courage lui manqua. A la torture, peut-être même avant la torture, il avoua tout ; oui, tout, c’est-à-dire des crimes qu’il n’avait pas commis. Il avoue que le diable lui a apparu, lui a fait des visites fréquentes, l’attendant à la porte de l’église, que plus de mille femmes ont été empoisonnées par le souffle irrésistible que Lucifer lui a donné. « J’avoue, dit-il encore, que lorsque je voulois aller au sabbat, je me mettois la nuit à ma fenêtre toute ouverte, je sortois de ma