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religieuses étaient possédées. Il essaya de les exorciser, mais il ne réussit pas, et les démons continuèrent à tourmenter les deux ursulines. Convaincu de son impuissance, le pauvre Romillion dut recourir à de meilleurs exorcistes. Les deux possédées, Louise Capeau et Madeleine de la Palud, fille d’un gentilhomme provençal, furent menées au couvent de Sainte-Baume, à l’inquisiteur Michaélis[1]. Michaélis, ne se croyant pas lui-même assez fort, appela un dominicain flamand, le père Domptius. Il était de Louvain, dit Michelet, il avait déjà exorcisé, et était ferré en ces sottises. Louise, plus folle que méchante, mais méchante dans sa folie, avoue qu’elle a trois diables : Verrine, bon diable, catholique, léger, un des démons de l’air ; Léviathan, mauvais diable, raisonneur et protestant ; enfin un autre, celui de l’impureté. Le sorcier qui a donné ces diables, c’est le prince des magiciens d’Espagne, de France, d’Angleterre et de Turquie ; c’est le prêtre Louis Gaufridi, alors curé de l’église des Accoules à Marseille. Madeleine, poussée par Louise et affolée de terreur, fait le même aveu. Elle reconnaît que Gaufridi a abusé d’elle par magie, et qu’il lui a envoyé toute une légion de diables, c’est-à-dire six mille six cent soixante-six[2]. Michaélis, moine, qui détestait Gaufridi, prêtre séculier[3], profite de l’occasion qui lui est offerte. Il va dénoncer le magicien au parlement de Provence. Gaufridi était soutenu par les capucins, par l’évêque de Marseille et tout le clergé ; mais le parlement et l’inquisition font cause commune et finissent par obtenir qu’on leur livre le curé des Accoules. Il est amené comme un coupable à Aix devant Madeleine de la Palud.

Sur quoi est fondée l’accusation ? Sur les visions d’une hystérique. Madeleine est folle. Ses accès démoniaques ne diffèrent en rien des accès hystéro-épileptiques de la Salpêtrière. Toutes ses accusations sont des fantaisies absurdes, de même nature que les vociférations incohérentes des filles hystériques pendant leur délire. « A l’exorcisme, dit Michaélis, Béelzébut continuoit à tourmenter Madeleine, la jetant à terre sur son ventre, puis en arrière, sur le dos, avec violence, puis jusqu’à trois et quatre fois la prenoit au gosier pour

  1. C’est Michaélis qui nous a raconté cette histoire : Histoire admirable de la possession et conversion d’une pénitente séduite par un magicien ; Lyon, 1614, in-8o. Michaélis a encore composé un autre ouvrage intitulé : Pneumologie ou discours des esprits en tant qu’il est besoin pour entendre et résoudre la matière difficile des sorciers, comprise en la sentence contre eux donnée en Avignon l’an 1582, in-8o ; Paris, 1587. Les mémoires du pore François Domptius sur le procès de Gaufridi sont de 1610 ; Paris.
  2. Il faut lire dans la Sorcière de Michelet, pages 233-259, le récit de toute cette sombre histoire.
  3. Homo homini lupus, mulier mulieri lupior, sacerdos sacerdoti lupissimus, dit un proverbe de moyen âge.