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au haut de la potence, elle voyoit père, mère, tantes, mari, femmes, sœurs, frères, filles, nièces, et une infinité d’autres parens, lesquels, la larme à l’œil, la convioient de se dédire. » Mais presque toutes, au moment de mourir, rétractent leurs aveux.

Cela n’embarrasse pas de Lancre. Vraiment cette rétractation est peu de chose. N’a-t-on pas des preuves plus certaines ? N’a-t-on pas surtout cette preuve infaillible de sorcellerie, le stigmate du diable ? Le commissaire du roi, dans son récit, s’étend sur la recherche de cet indice, et les détails qu’il donne ont un grand intérêt médical ; car la marque du diable, c’est l’anesthésie, c’est-à-dire la preuve de l’hystérie. Ainsi, par un étrange retour, ce qui, au XVIIe siècle, était un indice de crime est aujourd’hui une preuve d’innocence. Deux personnes aident de Lancre à découvrir le stigmate diabolique : un chirurgien étranger, qui y devint merveilleusement entendu et suffisant, et une jeune fille de dix-sept ans, nommée Morguy, à laquelle Michelet, on ne sait pas trop pourquoi, fait jouer un rôle très important dans les procès du Béarn. Le chirurgien était pour les vieilles sorcières ; on avait trouvé raisonnable « d’éteindre en lui la concupiscence que certaines explorations peuvent amener, et on lui faisait seulement voir des charognes en vie, si horribles, que le diable lui-même devait en avoir dégoût. » Pour constater la marque satanique, on prend une aiguille, une épingle, une alène, et on cherche par tout le corps la place où le diable a mis sa griffe. De Lancre dit que souvent cela est cruel, une espèce de bourrelage, mais il ne s’étend pas sur cette vaine émotion. D’ailleurs certains faits sont par lui bien observés. Quelquefois, dit-il, tout le corps est une seule marque ; fait intéressant qui montre bien qu’il y avait des anesthésies totales, et probablement aussi des hémi-anesthésies. Quelquefois, au bout de quelques jours, la marque a disparu. Quelquefois elle est toute superficielle. Souvent aussi, malgré la blessure, il ne s’écoule pas de sang. Tous ces détails sont fort exacts et concordent bien avec ce que nous savons de l’hystérie. Point de doute que, si on examinait avec les méthodes d’autrefois les pauvres malades de la Salpêtrière, on les trouverait presque toujours marquées. On pourrait ainsi décrire la forme de la griffe du diable, constater qu’elle est passagère, qu’elle va en augmentant ou en diminuant d’étendue. Pour expliquer ces irrégularités qu’il ne comprend pas, de Lancre a recours à l’explication ordinaire. « Quant aux marques des sorciers, Satan les imprime, les efface et quelquefois ne les marque pas du tout, selon qu’il reconnoît la chose lui être plus avantageuse. » Notre magistrat acquit ainsi une grande expérience, de sorte que, plus tard, lorsqu’il retourna à Bordeaux, Messieurs de la Tournelle le consultaient dans les cas