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vain Rémi, effrayé ; écarquille les yeux pour découvrir Satan : il ne peut rien voir. L’astuce du diable fut telle qu’il ne se montra qu’à l’ânière sa complice. Une si méchante sorcière devait être brûlée : elle le fut en effet.

Parmi les femmes qu’on brûlait, les unes étaient folles, les autres hystériques. A ce titre, la marque du diable, c’est-à-dire l’anesthésie, était le plus souvent constatée. On faisait cette recherche avec d’autant plus de soin que c’est l’indice le plus grave de sorcellerie, et qu’aucune confession ne vaut la trace de la griffe de Satan. Rémi remarque avec raison que l’insensibilité est souvent accompagnée d’anémie. On a beau piquer et couper la peau où le diable a mis sa griffe, c’est à peine s’il s’écoule quelques gouttes de sang, tandis que, tout autour de la marque diabolique, le sang, dès qu’on a fait une plaie, jaillit abondamment. Enfin l’anesthésie n’occupe que la peau, les parties profondes restent sensibles.

Pour échapper aux douleurs de la torture ou du bûcher, certaines prisonnières essaient de se tuer (rien de plus commun que le suicide dans la folie et dans l’hystérie). Souvent ces desseins aboutissent, grâce à la protection du diable : quelquefois au contraire la tentative de suicide avorte, Dieu dans sa clémence permettant que les infâmes sorcières soient brûlées. Il est encore un autre moyen de se soustraire aux douleurs de la question, c’est de se graisser le corps avec des onguens diaboliques et des poudres maudites (contenant probablement de la mandragore ou de la belladone). Il peut même arriver que des geôliers infidèles vendent ces graisses aux accusées. Elles supportent ainsi plus facilement la douleur, ce dont Rémi, naturellement, prend grande indignation. Il s’étonne surtout de voir certaines femmes envahies, pendant qu’on leur fait subir la question, par une sorte de léthargie avec une insensibilité complète. Il est probable que cette léthargie diabolique n’était que la fin de l’attaque démoniaque, analogue à celle que nous avons décrite dans la première partie de cette étude.

A la fin de son livre, Rémi s’indigne contre ceux qui seraient tentés d’être indulgens pour les sorcières. Malheur à ceux qui veulent amoindrir le châtiment d’un crime si horrible et exécrable, alléguant pour excuse l’âge, le sexe, l’imprudence ou la frayeur des criminelles ! « Tant d’impiétés, de maléfices, de monstrueuses passions, ne peuvent être justement punies que si l’on emploie tous les tourmens d’abord et le bûcher ensuite. »

Sur l’épidémie de sorcellerie du Jura, nous avons, par Boguet, qui malheureusement eut à juger beaucoup de sorciers dans cette contrée, des détails assez précis. Boguet, comme tous les