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les forêts étaient incultes, et les champs en friche, ces hommes sauvages, des fous assurément, qui poussés par une étrange démence se croyaient changés en bêtes, n’étaient pas rares. De Lancre, qui a vu un de ces loups-garous condamné par le Parlement de Bordeaux, décrit ainsi la physionomie de ce malheureux : « Je trouvai que c’était un jeune garçon, de l’âge environ de vingt à vingt et un an, de médiocre taille, plutôt petit pour son âge que grand ; les yeux hagards, enfoncés et noirs, n’osant quasi regarder le monde au visage. Il étoit aucunement hébété et fort peu spirituel, ayant toujours gardé du bétail. Il avoit les dents fort longues, claires, larges plus que le commun, et aucunement en dehors, les ongles aussi longs, aucuns noirs depuis la racine jusqu’au bout, et on eût dit qu’ils étoient à demi usés et plus enfoncés que les autres. Ce qui montre clairement qu’il a fait le métier de loup-garou, et comme il usoit de ses mains, et pour courir et pour prendre les enfans et les chiens à la gorge, il avoit une merveilleuse aptitude à aller à quatre pattes, et à sauter des fossés comme font les animaux de quatre pieds. Il me confessa aussi qu’il avoit inclination à manger de la chair de petits enfans parmi lesquels les petites filles lui étoient en délices, parce qu’elles sont plus tendres. »

Ce pauvre Jean Garnier, un simple d’esprit, comme on voit, fut condamné à une réclusion perpétuelle, mais il mourut l’année suivante.

A la fin du XVIe siècle, les épidémies de démonomanie, et par conséquent, les exécutions redoublent. Il y en a en Alsace (1541), à Cologne (1564), en Savoie (1574), à Toulouse (1577), en Lorraine (1580), dans le Jura (1590), dans le Brandebourg (1590), en Béarn (1605)[1].

Ces épidémies de sorcellerie n’étaient que des épidémies de folie. Nous reviendrons tout à l’heure sur ce qu’il faut entendre par folie épidémique. Constatons seulement qu’on en faisait une terrible justice. — « Les sorciers que le sénat de Toulouse eut à juger en 1577 étaient à eux seuls plus nombreux que tous les accusés non-sorciers qui furent déférés à la justice locale pendant l’espace de deux ans. Beaucoup d’entre eux eurent à subir des peines plus ou moins graves ; près de quatre cents furent condamnés à périr au milieu des flammes, et, ce qui n’est pas fait pour exciter une

  1. Pour le détail de quelques-unes de ces épidémies, je renverrai au bel ouvrage de Calmeil (la Folie considérée sous le point de vue pathologique, historique et judiciaire, 2 vol. ; Paris, 1845) qui a traité avec une érudition sûre et perspicace toutes ces questions. On peut aussi consulter le livre curieux et instructif de Simon Goulard (de Senlis) : Histoires admirables et mémorables de notre temps ; Paris, chez Jean Houzé, 1600, t. I, Ire partie, p. 43-61.