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savez le maintenir dans cette région de la tendresse, de la grâce et de la volupté qui est sa vraie demeure, loin des plages arides et malsaines de la métaphysique, de l’idéologie et du bleu de Prusse. Italiens, conservez ces heureuses facultés dont les autres nations ne médisent que parce qu’elles vous les envient : en ceci comme en toutes choses, tenez-vous en à Rossini et fuyez les Wagner ! Car c’est là votre grand charme et votre grande supériorité d’être si naturels et si simples, tellement sans fard et sans gêne, — senza complimenti e senza vergogna, — dans vos sensations comme dans vos sentimens, dans vos nécessités physiques, comme dans votre superflu moral, dans vos bonnes qualités comme dans vos mauvais penchans... Je n’oublierai jamais le mot bien plaisant, mais bien profond aussi, que me dit une fois cette vieille et excellente princesse S.., morte il y a quelques années, et si célèbre par son esprit fin, délié et sentant son XVIIIe siècle. C’était en 1866, au commencement des complications austro-prussiennes ; j’étais alors secrétaire d’ambassade à Vienne. La princesse S..., en bonne patriote autrichienne, était exaspérée contre les menées « piémontaises » et m’en parlait un jour dans l’intimité avec une véhémence toute juvénile, malgré ses quatre-vingts ans. Puis, s’interrompant tout à coup, elle s’écria : « Et dire qu’avec tout cela je ne parviendrai pourtant jamais à bien détester le pays de M. de Cavour et de Garibaldi ! C’est que, voyez-vous, ils sont si adorables, ces Italiens : ils trouvent cela si naturel d’avoir peur et de faire l’amour !.. »

LE MARCHESE ARRIGO. — Franchement, monsieur, vous eussiez mieux fait d’enterrer ce déplaisant propos avec la méchante vieille qui vous l’avait tenu...

LA COMTESSE. — Laissez cela, marchese :

Che ti fa cio che quivi si pispiglia ?
Vien dietro a me, e lascia dir le genti[1].


Pensons plutôt à très sincèrement remercier notre savant Provençal, — un Français sérieux et aimable celui-là, — du jugement éclairé et tout à fait impartial qu’il a porté sur notre Pétrarque. Certain passage toutefois de votre discours, cher maître, m’est resté obscur ; c’est celui où vous parliez de l’art dramatique en opposition avec la poésie amoureuse. Je ne saisis pas bien le rapport...

L’ACADEMICIEN. — Je tâcherai de m’expliquer plus clairement. Lorsque, vers la fin du XVIe siècle et dans la première moitié du suivant, surgirent les grands génies dramatiques de l’Angleterre,

  1. Purgat., V, 12-13.