Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/682

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de punitions. On fouettait beaucoup en Angleterre à cette époque, et Johnson a toujours prétendu que personne ne s’en trouvait plus mal. « Monsieur, disait-il plus tard, mon maître a eu raison de me bien fouetter. Sans cela je n’aurais rien fait. » Ce maître, qui s’appelait Hunter, ne manquait pas d’ailleurs en corrigeant le coupable de lui faire sentir la portée peut-être un peu lointaine de son système, et lui répétait : « Ce que je fais là c’est pour vous sauver du gibet. » Il est assez douteux que Johnson ait dû son salut à M. Hunter ; il était de ces élèves qui peuvent se passer de maîtres. Doué d’une heureuse mémoire et lisant au hasard tout ce qui lui tombait sous la main dans la boutique paternelle, il se composa bien vite une érudition d’un genre particulier et partit pour Oxford. Cet asile de la science ne possédait pas alors une réputation sans mélange. Dans plusieurs collèges, les professeurs avaient depuis longtemps renoncé même à toute apparence de cours. A Magdalen College, les fellows, bien rentés, passant de la chapelle à la salle à manger et de la taverne publique à la chambre commune, ne trouvaient plus que peu de temps pour les recherches studieuses. On allait jusqu’à prétendre qu’un chat était mort de faim dans la bibliothèque de All Soul’s College. Aussi lord Chesterfield pouvait-il écrire à son fils en 1748 : « Que penseriez-vous d’une chaire de grec dans l’une de nos universités ? C’est une jolie sinécure et qui n’exige que de fort minces connaissances. » Si l’on ajoute que Oxford possédait trois cents tavernes, on conviendra, que la ville universitaire offrait une certaine ressemblance avec cette idéale abbaye dont la règle se résumait, suivant Rabelais, dans cet ordre indulgent : Fais ce que voudras. Toutefois, à en croire un contemporain, jacobite enragé, les bonnes traditions commençaient à se perdre. Au lieu de dîner, le mardi gras, à dix heures du matin, quand sonnait la cloche des crêpes, on dînait à midi, et l’on ne mangeait plus de crêpes. « Lorsque les vieilles et louables coutumes s’altèrent, ajoute le brave chroniqueur, c’est signe que le savoir décline. » Il n’y en avait pas moins alors, même à Oxford, une classe d’étudians pour qui la vie académique était loin d’être facile. C’étaient ceux qui, trop pauvres pour subvenir à leur entretien, se faisaient serviteurs de leurs condisciples plus riches. Ils recevaient pour cela douze sous par semaine, sans compter les mauvais traitemens, et faisaient bande à part. Un commoner, c’est-à-dire un étudiant roturier, se serait déshonoré en se montrant publiquement avec un serviteur. Quant à la science, comme elle ne méprise personne, ils parvenaient à en prendre leur part ; mais il fallait pour cela un grand effort de volonté. Johnson, quoi qu’on en ait dit, ne fut pas réduit à cette extrémité. Il n’eut pas, comme Whitfield, à nettoyer les grilles de la cheminée dans la salle commune, ni à faire