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la première ivresse de liberté et d’opposition se dissiper, la discorde, la fatigue, le désir du retour gagner les plus fougueux et amollir les résistances, usant d’une supercherie dont l’ancienne politique était coutumière, il supprima dans la séance finale les stipulations gênantes, et déclara l’impôt voté sans conditions.

Vaincue et dupe sur un point de telle importance, l’assemblée ne se résigna qu’en protestant contre cette trahison. « La salle entière frémissait, dit Masselin, un mouvement d’indignation courut sur presque tous les bancs et couvrit la voix du chancelier. » Il y eut même, pour parler en style moderne, une explosion à l’extrême gauche : un théologien, chaud partisan du peuple, plebis fervens et andax zelator, s’échappa en invectives dont ses voisins durent contenir la violence. « Oui, nous sommes joués, s’écria-t-il, et depuis qu’on a obtenu notre consentement pour la levée des deniers, tout le reste a été méprisé et foulé aux pieds. On n’a tenu compte ni des demandes inscrites dans nos cahiers, ni de nos résolutions définitives et des limites que nous avons fixées. Malédiction de Dieu, exécration des hommes sur ceux dont les complots et les intrigues ont causé ces malheurs ! N’ont-ils pas de conscience de nous prendre notre bien malgré nous et contre une convention solennelle ! Dites, larrons de l’état, détestables agens du despotisme, est-ce là le moyen de faire prospérer la nation ? Je vous parle au nom de Dieu : non-seulement vous tous, coupables et complices, mais vos amis qui ont prêté les mains à la consommation de ce forfait, vous êtes tenus à restitution. » Cet honnête homme d’église, aussi naïf qu’impétueux dans ses étonnemens, était de ce tempérament politique qui a produit au XVIIIe siècle l’opposition tenace et exaltée du jansénisme. N’est-ce pas pour nous un curieux sujet d’observation que cet esprit d’indépendance, déjà si vif, et en même temps si éclairé et si ferme, chez les orateurs du tiers-état ! N’est-il pas intéressant de constater, par des preuves irrécusables, la variété des talens et des opinions qui se produisaient dans nos anciennes assemblées, l’importance des questions traitées, la chaleur des débats, l’audace des idées de réforme. qui se déclaraient à la tribune ? Surpris et inquiets, les partisans du pouvoir sans contrôle ne s’y reconnaissaient plus : « Les têtes, disaient-ils, sont tournées à l’utopie. » On sait les causes qui, peu d’années après, ont surexcité cette ardeur et propagé, dans la seconde moitié du XVIe siècle, une agitation nouvelle que l’influence et l’éloquence des états-généraux ont été appelées, comme toujours, à dominer.