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aux représentans de la noblesse et du clergé pesât sur les deux ordres privilégiés : un avocat de Troyes, maître Guillaume Huyart, soutint cette motion.

Là-dessus, un député noble, messire Philippe de Poitiers, chevalier, se lève furieux et, dans une sortie violente, s’emporte contre l’insolence de ces avocats « qui se croient les représentans du peuple et s’attribuent le patronage exclusif des intérêts du tiers-état. » Son discours est à lire, même aujourd’hui ; car il nous montré pendant combien de temps ont couvé dans les cœurs ces fermens de discorde sociale que notre siècle voit éclater. « Je voudrais bien, dit-il, que M. le préopinant, dominus proponens, m’apprît s’il pense que les ecclésiastiques et les nobles, qui sont membres de cette assemblée, n’ont procuré aucun soulagement au peuple, et s’il s’imagine que ses services et ceux des députés du tiers ont plus profité à celui-ci que les travaux du clergé et de la noblesse. Qui donc a déclaré les misères du pauvre peuple et défendu sa cause ? Le clergé. Quels hommes, après le peuple, pâtissent le plus des souffrances du peuple et doivent s’attacher plus étroitement à ses intérêts ? Je l’affirme en toute conscience, ce sont les ecclésiastiques et les nobles, dont l’aisance et la fortune dépendent entièrement de celle du peuple et qui ont pour le peuple bien plus d’affection que les avocats et les gens de justice. Même quand le peuple est misérable, les avocats continuent de s’enrichir. Pourquoi donc ces avocats s’arrogent-ils le titre de défenseurs du peuple ? Il semble, à les entendre, que les ecclésiastiques ne s’occupent que d’affaires d’église, les nobles, que de questions militaires, et qu’eux seuls songent à la nation, afin que sa reconnaissance et son argent récompensent leur dévoûment. Si vous en croyez l’avocat, les parties supérieures du corps politique seront bientôt esclaves et tributaires des autres, ce qui bouleversera l’économie du corps social. Souhaiter cette désunion, je le jure, c’est le désir d’une âme qui n’est que folle ou perverse. Ordonnez donc que le peuple paie, et ne l’ordonnez qu’à lui. Aussi bien, les nobles ne vous obéiraient pas ; pour défendre l’état, ils ont appris à donner, non de l’argent, mais des coups de lance. » La proposition des députés du tiers fut repoussée ; l’usage prévalut, et, comme l’exigeait si cavalièrement le défenseur des privilèges de la noblesse, le peuple paya.

En votant la taille réduite à 1,500,000 livres, les trois ordres avaient formellement stipulé qu’elle ne serait exigible que pendant deux ans : passé ce terme, la nation devait être consultée de nouveau. C’était poser le principe de la périodicité des états et jeter les fondemens d’un régime constitutionnel. Assailli de réclamations, étourdi de plaintes et d’exigences, le gouvernement accepta cette clause onéreuse ; mais quand il vit tomber peu à peu l’ardeur des députés,