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domaniales et quelques forêts communales qui soient dans ce cas ; car les forêts particulières sont ordinairement exploitées à des intervalles trop rapprochés pour pouvoir donner autre chose que du bois de chauffage et de la petite charpente, et ces produits sont d’un transport trop onéreux, eu égard à la valeur qu’ils représentent, pour qu’il y ait jamais avantage à les faire venir du dehors en quantité appréciable ; aussi les particuliers n’ont-ils rien à redouter de la concurrence étrangère. D’autre part, on ne peut espérer qu’en faisant, par des droits de douane, hausser le prix des bois d’œuvre, on décide les propriétaires à exploiter leurs forêts à un âge plus avancé ; car ce n’est qu’au bout de cent ou cent cinquante ans qu’ils pourraient en recueillir les bénéfices, et il est douteux qu’il s’en trouve beaucoup qui soient disposés à spéculer à si longue échéance. Quant aux écorces, les exportations dépassent de beaucoup les importations ; c’est un avantage que les propriétaires de bois doivent aux traités de commerce, puisqu’avant 1860, dans l’intérêt de la tannerie nationale, l’exportation des écorces était prohibée. Ainsi les propriétaires de forêts n’ont aucun intérêt à voir frapper les produits ligneux étrangers d’un droit quelconque ; ils profiteront au contraire de tout dégrèvement qu’on pourra opérer sur les produits agricoles ou manufacturés et qui aura pour effet de diminuer le plus possible le prix des choses nécessaires à la vie.

C’est là du reste le terrain sur lequel doivent, selon nous, se placer les agriculteurs français, qui, n’ayant rien à redouter du dehors, ou ne pouvant espérer aucune protection, ont tout intérêt à obtenir le dégrèvement des droits qui frappent les produits industriels et dont l’élévation leur cause une grave préjudice. Sur une population de 37 millions d’habitans, la France compte 19 millions d’agriculteurs, 7 millions de rentiers ou d’individus appartenant aux arts libéraux, et 11 millions d’ouvriers- divers sur lesquels 3 millions appartiennent aux industries du fer, de la houille, du coton, de la laine, qui sont particulièrement protégées. C’est au profit de ceux-ci, et surtout des patrons qui les emploient, qu’on a grevé les principaux objets de consommation, et qu’on fait payer sous forme de droit, un impôt très lourd aux 34 millions d’autres habitans. La plupart des correspondans de la Société nationale ont parfaitement compris que l’agriculture était sacrifiée à l’industrie, et s’ils ont demandé que la première fût protégée, c’est pour qu’elle fût placée sur un pied d’égalité avec la seconde ; mais ils accepteraient volontiers que l’égalité fût obtenue par le dégrèvement des produits industriels, au lieu de l’être par la protection des produits agricoles.

Il suffit, pour se convaincre de la situation sacrifiée qui est faite à