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relient entre elles par des rapports si étroits qu’on ne peut en établir un compte spécial autrement que d’une façon artificielle, c’est-à-dire arbitraire. Les frais qu’on fait pour le blé ne sont pas distincts de ceux qu’on fait pour l’avoine, pour la laine ou pour la betterave, et ne peuvent être mis à part. Il arrive même souvent que, lorsqu’une année est défavorable au blé, elle est favorable aux fourrages, et que, lorsque le prix de revient du blé hausse, celui de la viande au contraire diminue. Il n’y a en réalité qu’un moyen pratique de savoir si l’agriculture est en perte ou en gain, c’est de connaître avec précision l’ensemble des produits et des frais d’un certain nombre d’exploitations. Hors de là, il n’y a que fictions ou déclamations. — Et lors même qu’on connaîtrait exactement le prix de revient du blé, à quoi cela mènerait-il ? A faire garantir par l’état un prix de vente rémunérateur ? Mais c’est du socialisme tout pur qui l’obligerait à agir de même pour tous les autres produits agricoles et industriels, et à instituer un droit au bénéfice, encore moins justifiable que le droit au travail. Ainsi, quand on va au fond des choses, on ne rencontre aucun fait précis ; beaucoup de craintes exprimées, mais rien qui puisse faire supposer que. les importations d’Amérique se continueront dans l’avenir et que nous ne sommes pas en mesure, dans les années ordinaires, de lutter avec ce pays pour le bon marché.

M. de Lavergne[1] a fait remarquer avec raison qu’il y a trois périodes dans la production du blé ; la première où l’on en produit peu, mais presque pour rien ; la seconde où l’on en produit davantage, mais où il revient plus cher ; la troisième où l’on en produit encore plus, mais où les frais proportionnels diminuent. Il est plus facile de passer de la seconde période à la troisième que de la première à la seconde ; et c’est pourquoi les pays peuplés, anciennement cultivés, ont toujours les devans et pourquoi d’ici à longtemps nous n’aurons pas à craindre une invasion exagérée de blés d’Amérique ou d’ailleurs ; parce que, toutes circonstances égales, nul ne peut vendre en France à meilleur marché que le producteur français. Quand la récolte est abondante, nous n’avons pas à craindre la concurrence étrangère, puisque le prix du blé tombe assez bas pour qu’on n’ait pas d’intérêt à en importer ; quand la récolte est insuffisante, il est heureux que nous puissions nous approvisionner au dehors. Cette liberté des transactions a pour effet de régulariser les prix et d’en diminuer les oscillations. Si l’on compare les prix du blé pendant une période de vingt années antérieure à la suppression de l’échelle mobile à ceux de la période suivante, on voit que, dans la première, les écarts ont été plus grands que dans la deuxième, puisque les prix extrêmes ont été dans l’une de 30 fr. 75

  1. Voir dans la Revue du 1er mai 1856 : la Liberté commerciale.