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nous a été contraire qu’on peut se fonder pour asseoir une législation douanière durable ; il faut une période un peu plus longue pour pouvoir apprécier les conditions de la production indigène dans les diverses circonstances qui peuvent se présenter. La preuve que les conditions ne sont pas toujours les mêmes, c’est précisément ce qui se passe cette année. Notre récolte est insuffisante, puisqu’elle n’est que de 82,200,000 hectolitres et que nous avons encore été obligés de recourir aux importations de blés américains ; mais, comme l’Europe entière est dans, le même cas que nous, et qu’on évalue à 90 millions d’hectolitres au moins la quantité qu’elle devra faire venir de l’autre côté de l’Atlantique pour combler son déficit, le prix du blé, loin de baisser, est au contraire en hausse et à un taux qu’il est désirable de ne pas voir s’élever encore. Et d’ailleurs, est-on bien certain du chiffre donné plus haut comme prix de revient de l’hectolitre de blé américain vendu au Havre ? M. de Kersanté, correspondant des Côtes-du-Nord, le porte à 19 fr. 50 c ; M. Dières-Monplaisir, correspondant de la Charente-Inférieure, à 13 fr. 50 c, tandis qua d’autres personnes également compétentes ne l’évaluent pas à moins de 27 fr. 50 c. En présence de pareils écarts, s’il n’est pas permis d’avoir des doutes sur la bonne foi des correspondais, du moins peut-on admettre que la crainte d’une concurrence ruineuse pour eux a grossi le danger à leurs yeux. C’est que la question des prix de revient est une des plus complexes de l’agriculture et des plus difficiles à résoudre, même avec une irréprochable comptabilité.

Quand on réclame un droit sur le blé étranger de 2 fr. 60 par hectolitre, sous prétexte que le prix de revient en France est de 25 francs, on applique au pays tout entier un chiffre qui varie non-seulement d’une région à l’autre, mais d’une année à l’autre et même d’une ferme à l’autre. C’est ainsi que, tandis que M. Marchand, correspondant de la Seine-Inférieure, donne celui de 17 francs pour les années moyennes et de 11 francs pour les bonnes années, M. Brianne, de l’Indre, le porte à 27 francs. Si l’on admettait ce dernier chiffre pour le blé français et celui de 13 fr. 50, cité plus haut, pour le blé américain, ce n’est pas un droit de 2 fr. 60 par hectolitre qu’il faudrait demander, mais de 14 francs, pour tenir la balance égale entre les deux pays. Heureusement que ce ne sont là que des hypothèses, parce que, comme l’a judicieusement fait remarquer M. Dubost[1], les frais d’une exploitation s’appliquent à tous les-produits agricoles-, qui ne sauraient être isolés les uns des autres. Les céréales diverses, les plantes industrielles, la viande, le lait, sont de ces productions qui se confondent ou plutôt se

  1. Journal de l’agriculture du 10 mai 1879 : les Prix de revient du blé.