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aucune réciprocité. Mais, à part ces critiques de détail, les traités de commerce sont bien préférables à un tarif uniforme ; car, s’ils nous lient, ils lient également les nations étrangères et donnent à nos industries une sécurité qui leur manquerait avec une législation variable.

Il est évident d’ailleurs que si nous reprenons notre liberté, l’Angleterre, la Russie, l’Autriche, l’Italie, reprendront la leur et pourront à leur gré, suivant leur intérêt ou leur caprice, modifier leur propre tarif, et par conséquent changer les bases sur lesquelles les relations commerciales s’étaient établies jusqu’alors. Nous serons donc obligés de compter non-seulement avec nos convenances particulières, mais aussi avec celles des autres nations qui ne sont pas moins mobiles. Quant à l’incertitude à laquelle notre commerce sera soumis, l’agitation à laquelle nous assistons aujourd’hui peut nous donner une idée des luttes qui se produiront chaque année au moment de la discussion des lois de finance. Tout au moins serons-nous exposés à des remaniemens de tarifs à chaque législature, suivant que la majorité sera protectionniste ou libre échangiste, composée d’industriels ou d’agriculteurs. La première de toutes les conditions pour se livrer à une entreprise quelconque, c’est d’être sûr du lendemain ; et c’est cette condition qui nous ferait défaut si nous restions à la merci d’une crise momentanée ou d’une mauvaise récolte non-seulement chez nous, mais même dans les autres pays. Les traités de commerce offrent donc cet avantage essentiel d’établir, pour un temps déterminé, une base stable et certaine du trafic international, et ce serait suivant nous une grande faute que d’y renoncer.

On a parlé à cette occasion d’indépendance nationale et de la nécessité de ne pas être à la discrétion de l’étranger. C’est tout au plus si les protectionnistes n’ont pas accusé leurs adversaires de manquer de patriotisme et d’être vendus aux Anglais. Bien que de semblables argumens ne prouvent que la faiblesse de ceux qui les emploient, il ne faut pas dédaigner de les réfuter parce qu’ils font toujours une certaine impression sur le gros public, auquel les grands mots tiennent lieu de raisons. Or, nous le demandons à tout homme de bonne foi, en quoi l’indépendance d’un peuple est-elle compromise par un traité commercial qui le lie avec un autre ? est-ce que tous les traités ne sont pas dans le même cas ? est-ce qu’une nation peut vivre dans l’isolement et agir comme si les autres n’existaient pas ? En quoi d’ailleurs est-ce manquer de patriotisme que d’agir conformément à l’intérêt de son pays ? Si vous appelez mauvais patriotes les Français qui ont signé le traité de commerce avec l’Angleterre, pourquoi ne qualifiez-vous pas de même les Anglais qui ont stipulé au nom de cette dernière