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gais jardins dont la vue s’étend sur le lac. Ils avaient échangé l’existence batailleuse de leurs pères contre une vie oisive, facile et douce. De la noblesse ils avaient perdu les droits et les exemptions, mais j’aime à penser que quelques-uns avaient su atteindre ce rare idéal si bien défini par Mme de Charrière lorsque, dans les Lettres écrites de Lausanne, elle a peint quelques années plus tard la même société. — « J’imagine, disait Mme de Charrière, des gens qui ne peuvent devenir ni chanoines, ni chevaliers de Malte, et qui paient tous les impôts, mais qui se sentent plus obligés que d’autres à être braves, désintéressés, fidèles à leur parole ; qui ne voient point de possibilité pour eux à commettre une action lâche ; qui croient avoir reçu de leurs ancêtres et devoir remettre à leurs enfans une certaine fleur d’honneur, qui est à la vertu ce qu’est l’élégance des mouvemens, ce qu’est la grâce à la force et à la beauté, et qui conservent ce vernis avec d’autant plus de soin qu’il est moins définissable, et qu’eux-mêmes ne savent pas bien ce qu’il pourrait supporter sans être détruit ou flétri. » En tout cas, ces derniers représentans de la féodalité vaudoise avaient abjuré de la noblesse la morgue et les préjugés. Par les belles soirées d’été, ils se mêlaient au menu peuple, rassemblé sous les marronniers qui environnent la cathédrale ; souvent ils ne dédaignaient pas d’entrer dans les rondes, et on les voyait danser aux chansons.

Sur les pentes de la colline où s’élève la vieille église de Notre-Dame et le château des évêques, dans le quartier de la Cité, se réunissait à la même époque une autre société, celle des professeurs et des étudians à l’académie ou au collège de Lausanne. Il est probable que la société du quartier de Bourg méprisait un peu la société de la Cité, à cause de son peu de naissance, et que la société de la Cité méprisait celle du quartier de Bourg à cause de sa frivolité ; mais, la douceur des mœurs et une certaine bonhomie générale aidant, ces deux sociétés ne s’en mêlaient pas moins et se retrouvaient fréquemment dans des assemblées et dans des pique-niques, qui sont demeurés jusqu’à nos jours un des divertissemens favoris du pays. Les jeunes filles de Lausanne avaient même créé entre elles une petite société qui portait le nom gracieux de Société du printemps. Les mères en étaient soigneusement bannies ; mais les jeunes gens y étaient reçus. On y jouait aux jeux innocens, et on y contractait parfois aussi des engagemens que le mariage venait consacrer. Il y avait loin, on le voit, de ces mœurs simples et honnêtes à celles, à la fois cérémonieuses et corrompues, de Paris ou de Versailles, et je crois qu’un peu d’ennui entra pour autant dans le départ de Voltaire que les petites tracasseries dont il fut à la fois la cause et la victime.

C’est à peu près vers le temps où Zaïre et Adélaïde du Guesclin