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sorte. C’est encore une des erreurs économiques de l’empire que d’avoir supprimé l’ancienne loi sur les coalitions et d’avoir exposé, sans aucun résultat pratique possible, les industries à des crises ruineuses, et les classes ouvrières à des souffrances cruelles. Si les hommes politiques d’alors, moins préoccupés de reconquérir une popularité ébranlée, ne s’étaient appliqués qu’à donner satisfaction à des besoins réels, ils se seraient bien gardés de toucher à une législation qui faisait la sécurité de la société. Quiconque, en effet, a ouvert un livre d’économie politique sait que, à un moment donné, une nation n’a qu’une somme déterminée de capitaux disponibles, susceptibles d’être distribués sous forme de salaires. Cette quantité ne peut être augmentée à volonté, et si, dans une branche d’industrie quelconque, les ouvriers réussissent en se coalisant à faire hausser leurs salaires, ou, ce qui revient au même, à diminuer les heures de travail, cette hausse ne peut se produire qu’aux dépens des ouvriers d’une autre industrie, dont fatalement les salaires devront être réduits ; elle ne sera jamais que momentanée pour ceux même qui en auront profité, car elle a pour effet immédiat d’augmenter les frais de production, d’élever les prix des objets fabriqués, et par conséquent d’en restreindre la consommation. Il en résulte donc une diminution de travail, suivie d’une baisse correspondante du prix de la main-d’œuvre. Quoi qu’on fasse, l’équilibre se rétablit toujours tant que la somme disponible ne varie pas ; il ne peut y avoir d’amélioration permanente que lorsque la production elle-même s’accroît et que les capitaux deviennent plus abondans.

C’est au nom de la liberté individuelle et du droit naturel qu’ont tous les hommes de disposer d’eux-mêmes qu’on a supprimé les lois sur les coalitions. Nous n’aurions rien à y redire si les coalitions ouvrières n’étaient la négation même de la liberté et si elles n’avaient pas toujours pour effet, même quand elles ne sont accompagnées d’aucune violence, d’empêcher de travailler ceux qui au fond ne demandent pas mieux que de le faire et qui n’ont pas la force morale de résister aux objurgations de leurs camarades. Elles sont pour la société une cause de trouble que le législateur est parfaitement en droit d’écarter, elles entraînent toujours avec elles des ruines nombreuses et ne peuvent avoir aucune influence sur la hausse des salaires, qui, si la situation économique le permet, se produit sans elles, ainsi qu’on l’a vu pour l’agriculture. Il a suffi pour cela que le nombre d’ouvriers disponibles ne fût plus en rapport avec les besoins qu’on en avait.

D’où vient donc cette pénurie relative des ouvriers agricoles ? D’abord, de ce qu’un certain nombre d’entre eux ont émigré dans les villes et préféré le labeur de l’atelier à celui des champs. Il est incontestable qu’il y a aujourd’hui une rupture d’équilibre