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désagréable. Le jour du spectacle de Fontainebleau, j’éprouvais toujours un souci qui me devenait une sorte de petit supplice sans cesse renaissant. La frivolité du fond et l’importance des suites en rendaient le poids plus importun.

L’empereur aimait assez le talent de Talma. Il se persuadait qu’il l’aimait beaucoup ; je crois qu’il savait encore plus qu’il est grand acteur qu’il ne le sentait. Il n’y avait pas en lui ce qui fait qu’on se complaît dans la représentation d’une fiction de théâtre. Il manquait d’instruction ; ensuite, il était trop rarement désoccupé, trop fortement entrepris par sa situation réelle pour prêter attention à la conduite d’un ouvrage, au développement d’une passion feinte. Il se montrait parfois ému, transitoirement, d’une scène ou même d’un mot prononcé avec talent, mais cette émotion nuisait au reste de son plaisir, parce qu’il eût voulu qu’elle se prolongeât dans toute sa force, et qu’il ne faisait nul cas des impressions secondaires, ou plus douces, que produisent encore la beauté des vers ou l’accord que le talent d’un comédien apporte dans un rôle entier. En général, il trouvait notre théâtre français froid, nos acteurs trop mesurés, et il s’en prenait toujours aux autres de l’impossibilité presque complète où il se trouvait de se plaire là où la multitude acceptait un divertissement. Il en était de même sur l’article de la musique. Peu sensible aux arts, il savait leur prix par son esprit, et leur demandant plus qu’ils ne pouvaient lui donner, il se plaignait de n’avoir pas senti ce que sa nature ne permettait pas qu’il éprouvât.

On avait attiré à la cour les premiers chanteurs de l’Italie. Il les payait largement, mettait sa vanité à les enlever aux autres souverains ; mais il les écoutait tristement, et rarement avec intérêt. M. de Rémusat imagina d’animer les concerts qu’on lui donnait par une sorte de représentation des morceaux de chant qu’on exécutait en sa présence. Les concerts furent quelquefois donnés sur le théâtre. Ils étaient composés des plus belles scènes des opéras italiens ; les chanteurs les exécutaient en costumes, et les jouaient réellement ; la décoration représentait le lieu de la scène où se passait l’action du morceau de chant, tout cela était monté avec grand soin et, comme tout le reste, manquait à peu près son effet. Mais il faut dire que, si tant de soins étaient perdus pour son plaisir, la pompe de tant de spectacles et de divertissemens variés le flattait néanmoins, car elle rentrait dans sa politique, et il aimait à étaler devant cette foule d’étrangers qui l’entouraient une supériorité qui se retrouvait en tout.

Cette même disposition rêveuse et mécontente qu’il portait partout jetait un voile sombre sur les cercles et les bals de