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emprisonner la servante, car ce témoignage peut être utile à la justice ; en tous cas, il ne faut jamais laisser la sorcière rentrer dans sa maison, car elle se procurerait ainsi des philtres à l’aide desquels elle accomplirait encore quelque nouveau maléfice. Les gens chargés de la saisir doivent l’empêcher de toucher terre, car en frappant le sol du pied, souvent les sorcières ont pu s’enlever dans les airs. Il est bon, il est même nécessaire, afin d’éviter l’effet funeste de son regard, d’entrer dans son réduit en tournant le dos. Souvent en effet les inquisiteurs ont eu à souffrir d’un maléfice dû à l’œil mauvais d’une sorcière. « Il y a des exemples, dit Sprenger, de lamies qui, en regardant en face une personne à qui elles vouloient nuire, lui ont fait subitement gonfler toute la figure, et lui ont donné la lèpre. Ce n’est pas une consolation suffisante que de pouvoir brûler ensuite cet infâme suppôt de Satan. »

Une fois que la sorcière est prise, on la jette au cachot. Et quel cachot ? Un pourrissoir, suivant l’expression énergique d’Axenfeld : « D’aucuns sont assis par un grand froid, que les pieds leur gèlent et se détachant, et s’ils réchappent, ils demeurent estropiés pour la vie ; d’autres, en l’obscurité, sans une lueur de soleil, ne savent jamais s’il fait jour ou nuit, et, parce qu’ils ne peuvent remuer pieds ni mains, ils sont mangés par la vermine et les rats. Ils sont mal nourris, joint que le bourreau et ses valets à toute heure les raillent et les injurient. Ils ont des pensées lourdes, de mauvais rêves, des frayeurs continuelles. Aussi voit-on pareilles gens, de patiens, sensés et hardis qu’ils étaient auparavant, devenir moroses, impatiens, mal courageux et demi fols, et a-t-on bien raison de dire : tout prisonnier malheureux. »

Ensuite il fallait comparaître, subir les premiers interrogatoires. On devine en quoi ils consistent. Avez-vous jeté un maléfice sur le champ de votre voisin ? Avez-vous fréquenté le sabbat ? Quelle prudence, quelle sagacité il eût fallu pour déjouer les interrogatoires cauteleux du juge ? Les moindres faiblesses sont épiées ; les aveux les plus innocens deviennent de terribles révélations. On fait les demandes les plus étranges ; tous les malheurs privés ou publics qui ont frappé les habitans du village sont attribués à la pauvre sorcière, qui n’en peut mais. Voici, par exemple, un extrait de l’interrogatoire d’Arnoulette Defrasnes, dite la Royne des sorcières (15 février 1603)[1].

« Enquise de la cause de son emprisonnement,

« Répond l’ignorer.

« À elle dit qu’elle a été emprisonnée pour la réputation qu’elle a d’être sorcière.

  1. De la Sorcellerie et de la Justice criminelle à Valenciennes, par Th. Louise ; Valenciennes, 1861.