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Ces descriptions, qui sont d’un poète plus que d’un historien, ne sont guère faites pour entraîner la conviction, et il ne faudrait pas lire beaucoup de récits de sabbat, encore qu’ils s’accordent entre eux, pour être convaincu que cette conception de l’assemblée des sorcières est fantastique, et résulte de l’imagination délirante de malheureuses hystériques. lorsqu’il s’agit de confessions faites sous la torture, est-il possible de leur accorder quelque valeur ? Souvent, il est vrai, ces confessions, ces aveux étaient spontanés ; mais pourrait-on prouver qu’ils ne sont pas dus au délire ou à la démence[1] ? D’ailleurs, pour beaucoup de sorcières, il y avait un prélude nécessaire au départ pour le sabbat ; c’était l’onction avec certains onguens dans lesquels la belladone et la mandragore jouaient le principal rôle. Or on sait que ces solanées sont des poisons qui agissent sur l’intelligence, troublent la vue et les sens, et, même à dose assez faible, provoquent une sorte d’ivresse. Voici, entre cent autres semblables, un des récits de Bodin : « Auprès de Rome, l’an 1526, il y eut un paysan, lequel ayant vu sa femme se graisser la nuit toute nue, et puis ne la trouvant plus en sa maison, le jour suivant il prend un bâton et ne cessa de frapper jusqu’à ce qu’elle eût confessé la vérité, ce qu’elle fit, requérant pardon. Le mari lui pardonna à la charge qu’elle le mèneroit à l’assemblée. Le jour suivant la femme le lit oindre de la graisse qu’elle avoit, et se trouvèrent tous deux sur chacun un bouc bien légèrement. Se voyant à l’assemblée, la femme le fît tenir un peu à l’écart, et alla faire la révérence au chef de l’assemblée qui étoit habillé en prince pompeusement ; la révérence faite, on se mit à danser en rond, les faces tournées hors le rondeau, de sorte que les personnes ne se voyoient pas en face. La danse finie, les tables furent couvertes de plusieurs viandes ; alors la femme fit approcher son mari pour faire la révérence au prince, puis il se met à table avec les autres, et voyant que les viandes n’étoient salées, il cria tant qu’on lui apporta du sel, et, devant que de l’avoir goûté, il dit : Loué soit Dieu que le sel soit venu ! À ce mot soudain tout disparut, et personnes, et viandes, et table, et demeura seul tout nu ayant grand froid, ne sachant où il étoit. Or il étoit loin de Rome de cent milles, au comté de

  1. Un seul exemple, pris entre mille, montrera que le sabbat ne peut guère être considéré que comme une hallucination pure et simple. « Quelqu’un soupçonnant sa serrante d’être sorcière, et elle le niant, il se résolut de veiller toute une nuit, et l’ayant attachée à la jambe bien serré, elle étant auprès du feu une nuit qu’elle devait aller au sabbat, tout aussitôt qu’elle faisait le moindre semblant de dormir, il l’éveillait rudement ; néanmoins le diable triompha : car elle fut au sabbat, confessa y avoir été, et lui en dit toutes les particularités confirmées par une infinité d’autres. » (De Lancre, 1610). Cet aveu doit donner à réfléchir sur les autres aveux semblables.