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Sprenger et de presque tous les inquisiteurs. Les juges ecclésiastiques, moins tremblans sans doute, sont plus doux que ce magistrat. De fait, il y a peu de livres aussi effarés que la Démonomanie des sorciers. C’est ce qui en a fait le succès.

D’ailleurs les temps étaient propices. Jean Wier avait prêché dans le désert. Jusqu’en 1600 le nombre des sorciers va toujours en augmentant. Tout le monde croit au diable, aux démons, aux incubes, aux succubes, aux sorciers, tempestaires ou autres. C’est l’âge d’or de Satan. Fernel, un des plus illustres médecins du XVIe siècle, raconte sérieusement qu’il connaît quelqu’un qui fut ensorcelé en mangeant une pomme. Ambroise Paré, un des plus grands hommes de la France, parle avec détail des sorciers et des maux qu’ils causent[1]. « Ainsi qu’on voit aux nuées se former plusieurs et divers animaux, ainsi les démons se forment tout subit en ce qui leur plaît, et souvent on les voit transformés en bêtes, comme serpens, crapauds, chats-huants, huppes, corbeaux, boucs, ânes, chiens, chats, loups, taureaux et autres. Ils hurlent la nuit et font bruit comme s’ils étaient enchaînés ; ils remuent bancs, tables, tréteaux, berçant les enfans, jouent au tablier, feuillettent livres, comptent argent, ouvrent portes et fenêtres, jettent vaisselle par terre, cassent pots et verres et font autre tintamarre ; néanmoins, on ne voit rien au matin hors de sa place. Ils ont plusieurs noms, comme démons, cacodémons, incubes, succubes, coquemares[2], gobelins, lutins, mauvais anges, Satan, Lucifer, Père de mensonges, Prince des ténèbres, Légion.

« Ceux qui sont possédés des démons parlent, la langue tirée hors la bouche, divers langages inconnus. Ils font trembler la terre, tonner, éclairer, venter, déracinent et arrachent les arbres, tant gros et forts soient-ils ! Ils font marcher une montagne d’un lieu en autre, soulèvent en l’air un château et le remettent en sa place… Iceux démons peuvent, en beaucoup de manières, tromper notre terrienne lourdesse, car ils obscurcissent les yeux des hommes avec épaisses nuées qui brouillent notre esprit fantastiquement, et nous trompent par imposture satanique, corrompant notre imagination par leurs bouffonneries et impiétés. ils sont docteurs de mensonges, racines de malices, et, pour le dire en un mot, ils ont un incomparable artifice de tromperie, car ils se transmuent en mille façons, et entassent au corps des personnes vivantes mille choses étranges, comme vieux panneaux, des os, des ferremens, des clous, des épines, du fil, des cheveux

  1. Œuvres complètes d’Ambroise Pure, édition de Malgaigne, 1841, t. III, page 54.
  2. C’est de là que vient le mot cauchemar.