Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/542

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son nouveau confrère. Mais, pour le faire sans danger, il avait eu soin de lui envoyer d’avance son discours, comme s’il voulait le lui soumettre. L’évêque fut charmé de la prévenance ; il lut et relut le discours, et comme il y était comblé de complimens hyperboliques, il le trouva très bon ; « mais il ne laissa pas d’y faire quelques corrections pour le style et d’y ajouter quelques traits de sa propre louange. » On comprend la joie de l’abbé de Caumartin, que cette approbation mettait à couvert de toute plainte. Il prononça sa petite harangue « d’un air modeste, d’un ton mesuré, avec de légères inflexions de voix aux endroits les plus ridicules, qui auraient réveillé l’attention de tout ce qui l’écoutait si la malignité publique avait pu être un moment distraite. » Dès le premier mot, tout le monde avait compris les intentions ironiques de M. de Caumartin, excepté le prélat, « qui s’en retourna charmé de l’abbé et du public[1]. »

Nous avons les deux discours. Celui de M. de Noyon est une merveille en son genre. Je ne crois pas qu’aucune assemblée ait jamais rien entendu d’aussi amphigourique. Chez l’abbé de Caumartin l’ironie est toujours visible et charmante. M. de Boislisle en a cité quelques traits fort agréables ; il y en a d’autres qui me paraissent plus piquans encore et qui pourraient servir, pour ainsi dire, à « illustrer » le texte de Saint-Simon. Nous savons, par les Mémoires, que le roi se divertissait de la vanité du prélat. « Le roi, dit l’abbé de Caumartin, aime à vous entretenir, et lorsqu’il vous parle, une joie se répand sur son visage dont tout le monde s’aperçoit. » C’est encore du roi qu’il est question dans le dernier mot de cette spirituelle réponse. Caumartin le remercie de s’occuper de l’académie, d’être attentif aux pertes qu’elle fait et d’avoir dignement réparé la dernière « en lui donnant un sujet auquel, sans lui, elle n’aurait jamais osé songer. » Il n’était pas possible de venger plus gaiement l’Académie de la contrainte qu’elle avait subie et du mauvais choix qu’on l’avait forcée de faire.

La réception de M. de Noyon fut alors une sorte d’événement dont tous les contemporains s’occupèrent. Dangeau lui-même a soin de la mentionner dans son Journal, et il est curieux de comparer la façon prudente dont il en parle avec le récit pétillant de Saint-Simon. « Le discours de l’abbé de Caumartin, dit-il, était fort éloquent et fort agréable, plein de louanges, mais on prétend qu’elles étaient malignes. » Cette phrase de Dangeau me paraît le peindre ; le voilà bien avec ses scrupules et ses inquiétudes ! Cet esprit médiocre et timide, qui craint toujours de se compromettre,

  1. Voyez, dans les Causeries du Lundis, le piquant récit que Sainte-Beuve a fait de cette séance.