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ne souffre pas de réplique. C’est à propos des services que Claude de Saint-Simon rendit à la reine Anne d’Autriche pendant la régence et de la façon dont on voulait l’en récompenser : « Saint-Maigrin, dit-il, portait à mon père le bâton de maréchal de France, à son choix, ou le rang de prince étranger, sous le prétexte de la maison de Vermandois, du sang de Charlemagne, dont nous sortons au moins par une femme, sans contestation quelconque. »

M. de Boislisle croit au contraire qu’il est très facile de le contester. L’opinion qui donnait aux Saint-Simon ces aïeux illustres ne repose que sur une petite phrase écrite on ne sait par qui au revers d’un cartulaire de Philippe-Auguste, et qui fut signalée pour la première fois par l’historien Jean Du Tillet. C’était un fondement bien léger pour des prétentions si hautes. Ces quelques mots, qui allaient donner naissance à tant de disputes, ne s’appuient sur aucun autre témoignage, et ils sont contredits par des documens très sérieux. Ce qui prouve qu’ils ne parurent pas suffisans à ceux-mêmes qui s’en servaient, c’est qu’ils éprouvèrent le besoin de fabriquer des actes faux pour les soutenir. Quant à Saint-Simon, il ne paraît pas avoir jamais éprouvé la moindre inquiétude, le plus léger doute sur l’antiquité de sa maison ; les preuves qu’on en donnait lui semblaient irréfutables. — Ah ! s’il s’était agi d’un autre ! avec quelle perspicacité cruelle n’aurait-il pas saisi du premier coup et montré le néant et le vide de cette opinion ! Que n’aurait-il pas dit de gens capables de s’attribuer une si grande origine sur des raisons si peu solides ! Comme il aurait traité ces insolentes visées, et ces « ancêtres de parure » dont on s’affublait pour dissimuler la nouveauté de sa noblesse et s’attirer une considération qu’on ne méritait pas ! Mais il s’agissait de lui, de sa famille, et les choses changeaient aussitôt d’aspect à ses yeux. Tant il est vrai que l’intérêt personnel aveugle les plus perspicaces, et qu’on croit aisément ce qu’on a quelque profit à croire. Dès lors cette illustre origine est devenue sa chimère et celle de tous les siens. Aucun d’eux n’a pu s’en défendre et quelques-uns sont allés plus loin que lui[1]. N’avons-nous pas vu de nos jours son petit-neveu, le comte de Saint-Simon, qui fut le créateur d’une secte célèbre, grand révolutionnaire en toute chose et destructeur acharné du passé, qui refaisait à neuf tout l’ordre social, conserver pourtant les préjugés de sa race et en accepter les prétentions ? Il racontait que son grand aïeul Charlemagne lui était apparu pendant qu’il était en prison au Luxembourg, sous la Terreur, et qu’il lui avait révélé sa mission

  1. M. de Boislisle raconte qu’un marquis de Saint-Simon, réfugié en Espagne, y fit dresser, en 1803, une généalogie de sa famille qui la rattachait à Charlemagne, et de Charlemagne remontait jusqu’à l’empereur romain Avitus, qui fut proclamé César en 455.