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au moment où l’on s’y attendait le moins. La situation politique de l’Espagne est restée sans doute assez difficile depuis le déchirement imprévu et violent qui a éclaté en pleine chambre entre le cabinet présidé par M. Canovas del Castillo et la minorité parlementaire, à l’occasion de la récente crise ministérielle et des réformes de Cuba ; mais ce conflit persistant, si grave qu’il soit, n’a rien de commun, même de loin, avec l’odieux attentat dont le roi et la reine d’Espagne ont été l’objet il y a quelques jours, pendant les vacances parlementaires. Au moment où les deux jeunes souverains rentraient au palais, revenant d’une promenade en voiture, gaîment, sans escorte, ils ont essuyé un coup de feu qui les a effleurés sans les atteindre sérieusement. L’assassin est un vulgaire garçon pâtissier, qui a accompli son odieuse action avec sang-froid. À quelle pensée a-t-il obéi ? A-t-il des complices ? C’est ce qu’on ne sait pas. Il a été immédiatement saisi et il va, sans doute, expier son crime. Il n’y a pas moins quelque chose d’humiliant pour l’humanité dans cette persistance du meurtre s’acharnant contre les souverains, particulièrement contre un jeune homme et une jeune femme qui contractaient, il y a un mois à peine, une union royale célébrée au milieu des fêtes populaires de Madrid. C’est d’autant plus triste que ce jeune roi Alphonse XII n’est revenu sur le trône de sa mère que pour rendre la paix à l’Espagne ; il a toujours montré autant de tact que de jugement, il n’a cessé de se conduire en vrai souverain constitutionnel. La jeune reine est moins faite encore pour exciter les haines. Un fanatisme solitaire et pervers a suffi pour menacer ces jeunes destinées ! On aurait pu croire que ce triste événement devait contribuer à détendre la situation ; parlementaire, en mettant fin au conflit qui a éclaté le mois dernier. Il n’en a rien été ! La rupture a persisté dans la session qui vient. de se rouvrir. La minorité a continué à s’abstenir et le ministère paraît décidé à ne pas dépasser une certaine mesure de concessions pour désarmer l’opposition qui s’est déclarée contre lui.

Cette session espagnole, d’ailleurs, s’est ouverte de toute façon sous d’assez tristes auspices, sous la double impression de l’attentat contre le roi et de la mort prématurée du président des cortès, M. Adelardo Lopez de Ayala, qui a été un des plus éminens poètes dramatiques de la péninsule avant d’être un parlementaire éloquent et libéral. L’année n’a pas précisément bien commencé pour l’Espagne et le président du conseil, M. Canovas del Castillo, a besoin de toute son habileté, de son art politique pour apaiser et redresser une situation qui, en se prolongeant, ne laisserait pas peut-être de devenir périlleuse.


CH. DE MAZADE.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.