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été l’ami, la monarchie qu’il avait servie, ou pour retracer dans quelques pages aimables sur la contrée qu’il habitait, — un Heureux Coin de terre, — les résultats épurés et bienfaisans de la révolution française. Il est resté jusqu’au bout l’homme de 1830, un conservateur éclairé, un libéral impénitent. C’est ce qui explique comment, aux dernières années de sa vie, voyant s’évanouir les chances d’une monarchie constitutionnelle et répugnant plus que jamais à de nouvelles contrefaçons d’empire, il s’est retrouvé d’accord avec ses contemporains, ses compagnons d’autrefois, M. Thiers, M. de Rémusat, M. Dufaure, pour se rallier à la république, à une république constitutionnelle et libérale. Il ne croyait ni être infidèle à ses souvenirs ni désavouer son passé en acceptant le seul régime qu’il voyait possible, et il servait ce régime de la meilleure manière en lui souhaitant un Casimir Perier pour le fixer et le régulariser. Ce qu’il avait fait dans ces derniers temps, il l’avait fait avec la sincérité d’un esprit droit, sans arrière-pensée, mais aussi avec la conviction profonde que la république ne pouvait se fonder qu’en se défendant de toutes les solidarités meurtrières, en donnant à la France, avec un gouvernement équitable et sensé, l’ordre protecteur des intérêts, la liberté protectrice de toutes les croyances. M. de Montalivet, en un mot, est mort constitutionnel et libéral sous la république comme il a vécu constitutionnel et libéral sous la monarchie et sous l’empire. C’est l’unité, la moralité de cette carrière pleine d’honneur.

Assurément les générations d’aujourd’hui seraient bien imprévoyantes et bien oublieuses si elles en étaient déjà à secouer l’autorité de ces conseils, à demander au gouvernement de rompre avec ces traditions, avec cette politique d’expérience et de sagesse représentée par des hommes comme M. Thiers, M. de Rémusat, M. de Montalivet. Ce serait, pour l’unique plaisir de se passer un certain nombre de fantaisies plus ou moins républicaines, avoir perdu bien vite le souvenir de es qui a rendu la république possible, de ce qui a aidé à l’organiser régulièrement et de ce qui a contribué aussi à l’accréditer au dehors. Ce serait oublier que de la paix intérieure exactement maintenue par une politique prudemment conduite dépend jusqu’à un certain point la sûreté de nos rapports extérieurs, l’autorité de notre action en Europe et dans le monde. Sans doute il n’est pas bon de faire intervenir sans cesse l’approbation ou la menace de l’étranger dans nos débats intérieurs, dans nos crises ministérielles, et il faudrait en finir, une fois pour toutes, avec ces polémiques offensantes pour la France. S’il y a eu des républicains mal inspirés qui, dans d’autres circonstances, ont eu recours à ces procédés et ont évoqué des fantômes pour combattre d’autres pouvoirs, pour mettre en suspicion leurs adversaires, ce n’est pas absolument une raison pour tourner contre eux, fût-ce par une juste représaille, une tactique dont le pays en définitive est toujours la victime. L’esprit de parti n’a point