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aussitôt quelque panacée de sa composition, dont les effets « leur font connaître qu’il y a d’excellens remèdes inconnus au commun des médecins. »

Comme on voit, il ne dissimule pas plus ses prétentions que ses faiblesses. Sa franchise est entière. Il dit tout. S’il raconte, il épuise les circonstances du fait ; — s’il discourt, il met un par un ses argumens dans le plus bel ordre ; — s’il moralise, il n’abandonne pas son texte qu’il n’en ait tiré toute la moelle. A force de détails il fatiguerait, à force « de réflexions très judicieuses » il ennuierait, s’il n’était toujours aussi parfaitement ingénu. Ce n’est après tout que par excès de scrupule qu’il pèche. Sainte-Beuve a dit quelque part que les écrivains de Port-Royal avaient la phrase longue. Ni l’expression n’est tout à fait juste, ni même l’observation tout à fait vraie. Descartes, que je sache, n’a pas la phrase courte, et Bossuet n’est pas de Port-Royal. Il fallait se contenter de dire que les écrivains de Port-Royal, ou mieux encore les écrivains du XVIIe siècle, dès qu’ils ne sont pas du premier ordre, ont la narration un peu prolixe et la dissertation un peu verbeuse. C’est ce qui éclate si, par exemple, on compare Bourdaloue à Bossuet, tout comme si l’on s’avisait, à notre du Fossé, de comparer Pascal.

Mais que cette prolixité même porte avec soi d’enseignemens, qu’elle a même parfois de charmes, et surtout comme elle proteste éloquemment contre une autre fausse idée que l’on se fait parfois du XVIIe siècle ! C’est qu’elle n’est pas ici, comme trop souvent, le signe de l’impuissance, le long effort d’une pensée qui, de mot en mot, pour ainsi dire, se cherche péniblement elle-même. Elle vient de ce que l’orateur ou l’écrivain sont curieux de rendre la réalité tout entière, et particulièrement ambitieux de ne rien laisser échapper qui conduise la pensée, de proche en proche, jusqu’au dernier degré de clarté, de précision, de netteté qu’elle puisse atteindre. On sera plus court au XVIIIe siècle, parce qu’on sera moins sensible aux nuances. En littérature comme partout, on fait vite, quand on fait gros. Seulement, de cette abondance de détails, les vraiment grands écrivains, comme Pascal et comme Bossuet, sauront ce qu’il faut élaguer. Les écrivains secondaires, comme Bourdaloue, comme notre Thomas du Fossé, ne le sauront pas toujours, et c’est justement par là qu’ils méritent d’être appelés secondaires.

Ils n’en sont que plus instructifs. C’est plaisir de renvoyer aux Mémoires de Thomas du Fossé ceux qui prétendent que la littérature du XVIIe siècle aurait eu le génie sinon de l’inexactitude, à tout le moins de l’à-peu-près. Rien de plus faux. Quand du Fossé voyage, il serait impossible d’être plus précis et de noter avec plus de complaisance les effets et les causes. Une fois il passe à Langest, ou Langeais, dont le pays est renommé pour l’excellence de ses melons : c’est l’occasion, ou jamais, de « manger de ces melons si estimés à Paris ; » par malheur du