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Ce qui diminue la gravité de cette petite méprisé d’éditeur, c’est qu’après tout, Thomas du Fossé, dans ses Mémoires, ne traite qu’incidemment du jansénisme et que, s’abstenant de toute digression vers le dogme et les matières de controverse, il raconte et n’écrit qu’une histoire tout extérieure. Il ne veut même pas juger, et sa modération sous ce rapport est remarquable. Évidemment, et M. Bouquet a raison de le faire observer, — il a médité cette leçon de Pascal : « que ce sont les faits qui louent — ou qui-blâment, — et la manière de les disposer. » Il n’est pas malaisé de voir quelle direction du Fossé veut donner au jugement des lecteurs, mais que si parfois il laisse échapper quelque éloge exagéré des siens, jamais du moins contre les persécuteurs de Port-Royal, il n’a une plaisanterie cruelle ni une expression haineuse. Quant à la personne même de Louis XIV, il a toujours pour lui le respect profond, l’affection entière d’un Français du XVIIe siècle, jusqu’à refuser un seul instant d’admettre que le souverain puisse être pour quelque chose dans la persécution de Port-Royal. Les oreilles des rois sont faciles à surprendre, et la vérité se fraie difficilement une route vers les princes : voilà son thème et voilà son siège. Un détail qu’il nous donne montre bien, à ce propos, que ce respect de la personne royale n’a rien de commun avec ce que nous appelons, — nous autres âmes de fer et impayables échines, — des gros mots de flatterie, de servilité, d’abjection. « J’aimais, dit-il, à aller au Louvre, tout jeune que j’étais, — il avait vingt-deux ans, — pour le seul plaisir de voir le roi, ne pouvant me lasser de le considérer, soit pendant son dîner, lorsque je trouvais le moyen d’entrer dans sa chambre[1], soit… Je me croyais assez heureux quand je pouvais m’approcher assez de lui pour le voir tout à mon loisir, l’aimant, l’honorant et le respectant parfaitement. » Remarquez que du Fossé dès lors est bien résolu, non-seulement de ne pas se pousser en cour, mais encore de « ne pas entrer dans le siècle, » et dites ce que valent les cris d’effarement que nous poussons à la rencontre de. Quelques paroles de Bossuet ou de quelques hémistiches de Boileau.

Ces citations nous donnent la note des Mémoires de Thomas du Fossé. Le caractère de son style, c’est avant tout la sincérité, ce que je demanderai la permission d’appeler la naïveté soutenue.

Il est des points notamment où ce savant homme, cet érudit très indépendant, qui ne craint nullement, au nom de la vérité vraie, de « purger de toutes fables » la Vie des saints et « d’attaquer là-dessus la dévotion populaire, » cet historien du montanisme et de l’origénisme, enfin ce chrétien qui connaît l’homme et le monde comme on les connaît à Port-Royal, — et rarement, où que ce soit, on les a mieux connus, — montre vraiment la crédulité, la simplicité d’un enfant. Il a des

  1. Ce détail est de 1656.