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Vingt ans se sont écoulés depuis cette date, et la Compagnie de Sâo loâo d’El Rey, qui a réalisé des bénéfices considérables, qui a pu donner des dividendes inespérés à ses actionnaires, n’a pas encore, en 1879, jugé à propos d’accomplir la condition du contrat de 1845. Depuis vingt ans, deux cents noirs sont illégalement retenus en esclavage, ne reçoivent aucun salaire, et, par leurs labeurs économiques, augmentent les dividendes des propriétaires de la mine qu’ils exploitent ! Comme on peut bien le penser, la divulgation de ces faits a provoqué un soulèvement de l’opinion publique contre leurs auteurs ; mais ce qui, dans les circonstances actuelles, a paru particulièrement piquant, c’est que la compagnie, les directeurs et les actionnaires appartenaient tous à cette nationalité anglaise si exigeante pour le Brésil toutes les fois que les questions d’esclavage ont été soulevées !

Cet incident des mines d’or de Minas Geraes prête un argument nouveau à ceux qui craignent de voir, dans l’avenir, les coulies chinois en butte aux mauvais procédés de certains planteurs de l’intérieur. Pour nous, nous ne saurions trouver cet exemple concluant. La race jaune n’a rien de l’apathie, de l’indolence enfantine de la race noire. Elle connaît ses droits, possède un vif sentiment de la justice, comprend la force de l’association, et lorsqu’on se permet contre elle des abus d’autorité, devient vindicative et parfois dangereuse. Les planteurs trouveront avec qui compter. Qu’on me permette à ce sujet un souvenir personnel. Dans une des îles Hawaï, où les coulies chinois sont communément employés à la culture, je rencontrai jadis la veuve d’un ancien fonctionnaire français dont la figure était sillonnée, du front jusqu’au menton, par une horrible cicatrice. L’histoire de cette cicatrice me servira de démonstration pour prouver ce que j’avance. Fort mal dans ses affaires et violent de caractère, le mari de cette dame avait eu à son service un Chinois qu’il brusquait beaucoup, nourrissait mal et payait plus mal encore. Dans un accès de colère provoqué par les réclamations du serviteur, le maître s’oublia au point de le frapper. L’homme jaune plia les épaules, maugréa et ne résista pas ; mais dès que la nuit fut venue, dès qu’il put juger les habitans de la maison plongés dans le sommeil, il s’arma d’une hache et pénétra dans la chambre où son maître dormait avec sa femme, il trancha la tête de l’un, fendit la figure de l’autre et prit la fuite. Peu de jours après il était pendu haut et court, et sa seconde victime était guérie ; mais, dans l’île, ceux qui par la suite auraient été tentés de maltraiter un coulie regardèrent à deux fois avant de s’exposer à une pareille vengeance.

On nous saura gré de ne pas nous arrêter aux objections des gens qui regrettent pour leur pays le mélange des sangs chinois et