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l’abolition de la traite et par la loi d’émancipation de 1871, affranchissant les nègres du domaine public et déclarant libre tout enfant qui naîtrait à l’avenir du commerce de deux esclaves.

Depuis l’adoption de ces mesures, chaque année voit diminuer le nombre des bras occupés aux travaux des champs, et le gouvernement se préoccupe de suppléer à cette insuffisance de la main-d’œuvre. Il a pourvu d’abord au sort des enfans émancipés en obligeant les propriétaires d’esclaves à les garder auprès de leurs mères jusqu’à l’âge de huit ans, et en fondant, dans la province de Piauhy, une colonie agricole[1], servant d’asile aux affranchis adultes et d’établissement d’éducation aux adolescens jusqu’à leur majorité. Puis il a cherché à développer la colonisation européenne ; mais jusqu’à présent les tentatives faites de ce côté ont peu réussi. — Les colonies fondées par l’état, les provinces ou les particuliers ne contenaient en 1856 que 52,379 habitans, minime fraction du chiffre des émigrans se rendant en une seule année aux États-Unis.

Cet insuccès est facile à comprendre. Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié les émouvans récits de M. É. Reclus[2] sur les abus dont les nouveaux débarqués ont été souvent victimes de la part de certains planteurs, avant que ces abus fussent révélés à l’empereur dom Pedro II. De plus les colons qui se décident à quitter l’Europe pour chercher fortune à l’étranger sont, en général, besogneux. Beaucoup ne comptent que sur leurs deux bras pour gagner leur vie, et ces deux bras ne peuvent pas toujours leur servir dans un pays où le soleil est implacable pour les gens de leur race. L’agronome industrieux qui apporte un pécule, qui peut engager des noirs à son service, voit, il est vrai, sa fortune assurée en peu d’années, mais combien peu de colons offrent ces conditions de capacité et d’aisance ! Presque tout le courant de l’immigration, évitant, à cause du climat, les provinces du nord, les plus riches en produits naturels de tous genres, se dirige vers celles du sud, c’est-à-dire vers celles où la surveillance du gouvernement s’exerce le plus difficilement. La manière dont la propriété privée a été constituée dans l’origine est vicieuse[3]. Lors de la première occupation ou des conquêtes successives du Brésil par les Portugais, le sol fut, en effet, distribué entre les titulaires des capitaineries. Ces hauts fonctionnaires recevaient ainsi d’immenses étendues de territoires qu’ils laissaient le plus souvent en friche. Il en fut de même en 1808 lorsque la cour de Portugal, fuyant devant les armées de Napoléon Ier, traversa les mers. À cette époque, le prince régent accorda par l’intermédiaire des capitaines-généraux de nouvelles

  1. Asile de San Pedro de Alcantara.
  2. Voyez la Revue du 15 juillet 1862.
  3. Proposta e relatorio do ministro da Fazenda, 1878, pages 69 et suivantes.