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de la liberté grande qu’il a prise d’écrire son livre en français ? Il semblait alors qu’un universitaire ne pût s’exprimer convenablement qu’en latin, et d’Aguesseau, félicitant Rollin, lui disait : « Vous écrivez en français comme si c’était votre langue naturelle. » Former le goût, voilà, en matière d’instruction, l’objet principal de Rollin : idéal incomplet et un peu mesquin, il faut l’avouer. L’histoire est négligée, les sciences confondues dans la philosophie et étudiées surtout en vue de l’édification. En revanche, une place d’honneur est attribuée au vers latin. — Là où Rollin est admirable, c’est dans les détails de pédagogie, et de discipline scolaire. Sachons-lui gré tout spécialement d’une bonne pensée relative à la suppression des peines corporelles. Il proscrirait l’usage des verges, n’étaient certains textes de la Bible qui leur paraissent favorables. Il voudrait bien se convaincre que la Bible là-dessus ne dit pas ce qu’elle semble dire, et tiraillé, entre sa douceur naturelle et ses scrupules d’orthodoxie, il conclut qu’on ne fouettera l’enfant que dans les cas extrêmes.

Si dans une revue, quelque rapide qu’elle soit, des théories de l’éducation en France, il est impossible de ne pas prononcer le nom de Rollin, ce n’est pas lui pourtant, est-il besoin de le dire ? qui représente l’esprit pédagogique de son siècle. Une révolution profonde s’accomplit dans les idées, et Rollin, bien éloigné d’être un révolutionnaire, est plutôt un homme du passé. Le vrai théoricien de l’époque, c’est Rousseau. Les grandes vérités qu’il mêle à ses paradoxes sont trop connues pour que nous insistions sur les unes et sur les autres. Contentons-nous de signaler le caractère exclusivement laïque de la nouvelle éducation, et l’importance attribuée à l’analyse psychologique des instincts de l’enfant. Au plus célèbre des disciples de Rousseau, Pestalozzi, revient l’honneur d’avoir senti le premier un autre besoin des temps nouveaux, celui de répandre l’instruction dans les masses profondes du peuple, et la gloire plus grande encore d’avoir dévoué toute sa vie à cette œuvre sainte et imprimé par son exemple une impulsion qui ne fera que grandir après lui. Enfin, plus de vingt-cinq ans avant la révolution française, l’opposition parlementaire contre les jésuites et l’expulsion de l’ordre en 1762, consomment la ruine de l’esprit clérical et préparent l’éducation nationale que vont fonderies grandes institutions de la révolution et de l’empire.

M. Compayré a remis dans un beau jour les figures un peu oubliées de La Chalotais et du conseiller Rolland. Le premier est l’auteur d’un Essai sur l’éducation nationale qui parut un an après l’expulsion des jésuites. Séculariser l’instruction, tel est le but principal que poursuit La Chalotais. Fermement attaché aux