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Quant à l’enseignement supérieur, il y faut un amour désintéressé du savoir, une indépendance d’esprit que la corporation ne pouvait ni connaître, ni encourager. Leur vrai terrain, c’est l’éducation moyenne, celle qui convient aux classes privilégiées de la nation. Discipline à la fois ferme et douce, usage fréquent des récompenses et des distractions, représentations dramatiques qui sont en même temps pour les élèves des leçons de tenue et de bonnes manières ; académies dans toutes les classes, où se développent d’une façon fâcheuse la vanité littéraire et le goût de la discussion ; large part faite aux exercices du corps, natation, équitation, escrime, et même aux arts d’agrément, rares sorties dans la famille et courtes vacances pour les internes ; surveillance sévère des externes même, à qui l’on interdit d’assister aux spectacles, aux grandes réunions, aux exécutions, sauf aux exécutions d’hérétiques, maisons spacieuses, bonne nourriture, salles propres et presque élégantes : — tels furent dès le début les moyens, quelques-uns dignes d’éloges, un plus grand nombre puérils ou dangereux, tous efficaces à divers titres, par lesquels l’envahissante société sut attirer les fils de famille qui, plus tard, devenus riches et puissans, pourraient la combler de faveurs et de bienfaits.

Quant à leur enseignement proprement dit, il se préoccupe exclusivement de la forme ; le but suprême, c’est d’écrire élégamment en latin. « La langue maternelle, la langue vulgaire, comme on disait alors, est interdite jusque dans les conversations. C’est seulement les jours de fête et en guise de récompense que les écoliers sont autorisés à converser entre eux comme s’ils étaient encore à la maison. » L’explication des auteurs qui, dans les premiers temps, se faisait elle-même en latin, se borne à peu près à signaler les règles de grammaire, les élégances et les figures de style. L’histoire n’est introduite qu’accidentellement dans les classes, à l’occasion d’un texte latin ou grec. L’histoire de France et l’histoire moderne sont entièrement bannies. L’histoire est tellement suspecte aux jésuites, qu’un de leurs pères soutient « qu’elle est la perte de celui qui l’étudie ; » et dans leurs facultés de théologie, ils n’enseignaient même pas celle de l’église. De sciences, sauf, un peu de géométrie, il n’en est pas question. La philosophie est celle d’Aristote, mais d’Aristote énervé, délayé, défiguré par les commentaires des pères Tolet et Fonseca. Ce sera l’étude de trois années, et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle il ne sera rien changé à ce gothique programme.

Les classiques eux-mêmes ne sont pas présentés aux élèves dans toute l’intégrité de leur pensée saine et forte. On ne se contente pas de les expurger, on les découpe par petits morceaux, on les réduit en excerpta. Bien plus, on les travestit, on les transforme, bon gré, malgré, en propagateurs de la foi. « L’interprétation des auteurs,