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ordinaire et jusqu’à 7 francs pendant la moisson. Cette élévation des salaires grève, il est vrai, sensiblement les frais d’exploitation, mais elle n’en est pas moins un signe de prospérité, puisque la culture peut la supporter. Il est clair en effet que si celle-ci se trouvait en perte, elle se ralentirait jusqu’à ce que la main-d’œuvre, étant moins demandée, fût retombée à son taux primitif. Nous aurons du reste à revenir sur ce point ; tout ce que nous voulons retenir en ce moment, c’est que cet accroissement du prix de la main-d’œuvre a eu pour conséquence l’augmentation du bien-être de l’ouvrier agricole, qui non-seulement est aujourd’hui mieux nourri et mieux vêtu qu’autrefois, mais qui, ainsi que l’ont signalé la plupart des correspondans de la Société nationale, a pu réaliser assez d’économies pour acheter des terres et les cultiver pour son propre compte[1].

Mais ce qui, plus que tous les chiffres que nous venons de citer, prouve la prospérité agricole toujours croissante de la France, c’est la facilité avec laquelle ce pays béni du ciel a supporté les charges écrasantes de la dernière guerre. Ni les milliards payés à l’ennemi, ni les milliers d’hommes tués pour la défense de la patrie ou morts dans les casemates allemandes, n’ont ralenti son essor ; il est sorti de cette épreuve plus vivace que jamais, et aujourd’hui, à voir les cours des fonds publics et le chiffre des sommes déposées à la banque, on ne se douterait pas que son épargne a été entamée. Il ne faudrait pas cependant que, parce que nos blessures ont été rapidement cicatrisées, nous oubliions ceux qui les ont faites ; et cette prospérité, dont nous avons lieu d’être si fiers, serait un malheur si elle devait nous faire perdre de vue les devoirs qui nous restent encore à remplir envers la patrie.

Quoi qu’il en soit, les progrès agricoles de la France dans les vingt dernières années, progrès dus aux circonstances diverses que nous avons énumérées plus haut, paraissent aujourd’hui se ralentir. Les propriétaires se plaignent de ne pouvoir louer leurs fermes, les cultivateurs de ne pouvoir écouler leurs produits. L’agriculture subit le contre-coup de la crise dont nous parlions en commençant cette étude et dont il nous reste à rechercher les causes et les remèdes.


J. CLAVE.

  1. Voir notamment les réponses de M. Monseignat pour le département de l’Aveyron, de Longuemar pour celui de la Vienne, Le Corbeiller pour celui de l’Indre, etc.