Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

phénomènes ? Pourquoi, par quelle étrange divination, présentent-ils tous les mêmes symptômes d’une même névrose ? Ne serait-ce pas un phénomène bien merveilleux que cette simulation qui dure depuis un siècle dans toute l’Europe et qui se trouve être toujours la même ? Tous les médecins, tous les savans qui se sont adonnés à cette étude auraient donc été victimes de la même inexplicable fourberie ?

Ainsi le somnambulisme peut être considéré comme une maladie véritable, maladie dont les symptômes sont aussi bien décrits que ceux de l’hystérie ou de l’épilepsie. Le seul côté étrange et obscur de son étude, c’est que cette névrose peut être provoquée par des manœuvres extérieures dont le mode d’action nous échappe. Mais parce que nous ignorons la cause des phénomènes, ce n’est pas une raison pour en nier l’existence. Plus tard, dans quelques années peut-être, on arrivera à la connaissance exacte, non pas des symptômes, qui sont à peu près bien connus aujourd’hui, mais des causes physiologiques du somnambulisme. Il est permis d’espérer que les procédés empiriques qu’on emploie de nos jours seront remplacés par des méthodes scientifiques que personne ne pourra mettre en doute et dont tout le monde pourra constater l’efficacité.

En résumé, nous avons vu que, sans produire l’aliénation proprement dite, il y a des maladies qui troublent profondément les fonctions de l’intelligence. Certes ces troubles sont étranges et faits pour surprendre ; mais on peut affirmer qu’ils sont soumis à des lois naturelles, et non à la fantaisie des sept millions quatre cent cinq mille neuf cent vingt-six diables de l’enfer. Telle n’était pas l’opinion des juges du XVIIe siècle, et ce n’est pas un des moindres bienfaits de la science que d’avoir affirmé et prouvé l’innocence des malheureux qu’on faisait jadis monter sur le bûcher.


CHARLES RICHET.