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rêvera pas qu’il voit un lion. Au contraire, à un de mes amis que je pouvais mettre en état de somnambulisme, je disais : « Voici un lion. » Aussitôt il s’agitait ; sa figure exprimait l’effroi. « Mais il vient, s’écriait-il, il s’approche ; sauvons-nous vite, vite, » et il avait presque une crise nerveuse sous l’influence de cette terreur.

On sait que les magnétiseurs de profession ont la prétention de faire voyager leurs sujets à travers l’espace, et de les faire assister à des scènes lointaines. Le fait est parfaitement exact. Mais ce qui cesse d’être vrai, ce qui est absolument faux, c’est que ces rêves soient des réalités, et que ces visions soient en rapport avec la vérité des choses. Ce sont de pures imaginations, qui ne sont ni plus ni moins fantaisistes que toutes les conceptions vagues forgées par chaque individu pendant son sommeil. Pour prendre un exemple, je puis raconter l’histoire d’une des malades somnambules de l’hôpital B… Je lui disais : « Venez avec moi, nous allons sortir et voyager. » Alors, successivement, elle décrivait les endroits par où il fallait passer ; les corridors de l’hôpital, les rues qu’on doit traverser pour aller à la gare ; puis elle arrivait à la gare, et comme elle connaissait tous ces endroits, elle indiquait avec assez d’exactitude les détails des lieux que son imagination et sa mémoire, également surexcitées, lui représentaient sous une forme réelle. Brusquement on pouvait la transporter dans un site éloigné qu’elle ne connaissait pas, le lac de Côme, par exemple, ou les régions glacées du pôle Nord. Son imagination livrée à elle-même s’abandonnait alors à des descriptions qui ne manquaient pas de charme et qui intéressaient toujours par leur apparente précision. Mais quelle grossière erreur que de faire à ces chimériques conceptions l’honneur d’être des vérités ! Un jour, ayant endormi un de mes amis, j’eus l’idée de le faire voyager en ballon jusqu’à la lune. J’éprouvai une réelle surprise lorsqu’il me dit en riant : « Oh ! oh ! quelle est cette grosse boule blanche qui est au-dessous de nous ? » C’était la terre que son imagination lui représentait. Il voyait des bêtes fantastiques, et comme je lui disais qu’il fallait les ramener sur la terre, il se fâchait : « Comment ! disait-il, tu ne sais seulement pas de quelle manière nous descendrons, et tu veux te charger de ces gros animaux-là ? Je te reconnais bien là. Pour moi, je te laisserai faire, et je ne m’en embarrasserai certainement pas. » Il se rendait compte néanmoins de l’étrangeté de ses visions. « Quel beau récit à faire ! disait-il, mais par malheur, on ne nous croira pas ! »

La raison des somnambules est peut-être pervertie ; à coup sûr l’intelligence n’est pas diminuée. Elle est surexcitée et très vive. Les conversations qu’on tient avec un sujet endormi sont variées et