Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cas même, la sensibilité, au lieu d’être diminuée, est exagérée au point que le plus léger contact excite de la douleur. En somme les différences individuelles défendent d’établir une loi absolue, et il y a tant d’exceptions qu’il n’y a pour ainsi dire pas de règle.

La personne endormie a conscience de son état, et on est assuré qu’elle est réellement endormie, si elle répond affirmativement quand on l’interroge sur ce sujet. Si on lui demande alors quelles sensations elle éprouve, on constate le plus souvent que ce sommeil est un état assez agréable. Plusieurs des malades que j’ai endormies à l’hôpital B… m’assuraient que leurs douleurs avaient disparu. Aussi désiraient-elles rester longtemps dans le sommeil, sachant que le réveil à la vie normale serait en même temps le réveil à la douleur. J’ajoute que, si l’état de somnambulisme n’est pas désagréable, il est aussi sans danger. Je ne sache pas qu’on ait signalé à sa suite des accidens graves ou légers ; il est même possible que, dans certains cas, il apaise le système nerveux surexcité, mais en pareille matière il faut être très réservé, et jusqu’ici on n’a pas encore pu apporter de faits bien démonstratifs.

Analysons maintenant les phénomènes psychologiques du somnambulisme. Tout le monde sait ce qu’est le rêve. Quand, fatigués des travaux de la journée, nous nous laissons envahir par le sommeil, nos pensées deviennent confuses et flottantes ; l’attention ne peut plus se fixer sur un objet déterminé ; peu à peu nous perdons la conscience du monde extérieur, et des formes bizarres, dont la réalité est dans notre conception seule, viennent s’imposer à nous. Elles passent et repassent avec une facilité merveilleuse, changeant à chaque seconde, et nous étonnant par un appareil mobile et fantasque. Ce sont des figures humaines avec des formes de bêtes, des monstres étranges, des jardins, des palais, des personnages disparus depuis longtemps, et que nous pourrions croire effacés de notre souvenir. Tout cela s’agite, se meut devant nous, et l’esprit assiste en spectateur impuissant aux tableaux que lui-même a formés de toutes pièces. L’imagination se donne librement carrière, car elle ne vient pas se heurter, comme dans l’état de veille, contre les objets extérieurs, lesquels viennent à chaque instant provoquer des sensations précises et nous rappeler à la réalité. Or ce qui différencie le somnambulisme et le sommeil ordinaire, c’est que le rêve, spontané dans le sommeil, peut, dans le somnambulisme, être provoqué. Ainsi, par exemple, voici un homme endormi tranquillement dans son lit. Il sera bien difficile de faire en sorte qu’il rêve d’un lion. Si on lui dit tout haut : Voici un lion ! de deux choses l’une : ou il se réveillera, ou il n’entendra pas. Mais de toute manière, il ne