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En général, on observe toujours deux variétés de délire répondant à deux formes d’hallucination. Il y a la forme gaie et la forme triste. Le plus souvent elles se mélangent et passent avec une extrême rapidité de l’une à l’autre. « M…, dit M. Paul Richer, est avec « Ernest[1] » en partie de plaisir dans un restaurant des environs de Paris, où les tables sont dressées sous des treillages garnis de fleurs et de plantes grimpantes. A droite est une négresse entourée d’hommes noirs aux bras robustes, tatoués, complètement nus, qui saisissent la malheureuse négresse par les cheveux et veulent la scalper. Le sang coule à flots sur le visage de l’infortunée, qui pousse des cris lamentables, et appelle au secours. A gauche, au contraire, le spectacle est bien différent, il y a une société nombreuse. Ernest a une foule d’amis qu’accompagnent d’autres jeunes filles. Tous les personnages n’ont pour vêtement qu’une large ceinture rouge, à l’exception d’Ernest, qui porte un costume espagnol. On s’attable, on mange des huîtres, on boit du vin blanc, on chante, on rit beaucoup, »

En général chaque démoniaque a une forme de délire qui lui est propre, de sorte que les divers accès se ressemblent toujours chez la même hystérique. Ce sont les mêmes personnages qui apparaissent, les mêmes scènes qui se reproduisent à toutes les attaques. L’ordre dans lequel les hallucinations ont lieu n’est pas modifié, et pour peu qu’on ait déjà assisté à quelques accès subis par la même malade, on peut prévoir la fin de son attaque par la nature de ces hallucinations. Chez l’une, c’est la fanfare d’une musique militaire ; chez une autre, c’est le bruit du chemin de fer ; chez une autre encore, c’est l’apparition d’animaux immondes, de vipères, de corbeaux, de crapauds, de rats. La régularité de ces délires frénétiques est bien faite pour surprendre. A entendre les vociférations, les hurlemens des démoniaques, à voir leurs contorsions furieuses, il semble que le hasard seul dirige cet effroyable drame. En réalité tout est prévu, réglé, déterminé ; tout ce désordre marche avec la précision mathématique d’une horloge bien remontée.

Quelque fantastique que paraisse le délire des hystériques pendant leur accès, ce délire a toujours une cause, une raison d’être. Les hallucinations d’une démoniaque ressemblent à des épisodes réels de sa vie, en particulier à l’épisode qui a eu le plus d’influence sur la production de sa maladie. Il est certain, comme nous le disions plus haut, que la principale cause de l’hystérie, c’est la prédisposition héréditaire ; mais encore faut-il un accident, un fait extérieur qui provoque une première crise nerveuse, un

  1. Des noms de jeunes gens ont remplacé les noms de diables que les démoniaques d’autrefois donnaient aux personnages de leurs hallucinations.