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sait que telle chose est bonne à dire, telle autre bonne à cacher, qu’il y a des sentimens nobles et des passions basses, qu’on doit obéir aux uns et écraser les autres. Les hystériques ne savent pas tout cela ; elles ne comprennent pas ce qu’on entend par pouvoir dominateur de la passion. La passion les mène, et elles se laissent conduire où la passion veut. Si c’est le vent de la colère ou de la jalousie qui souffle, tant pis ; elles se laissent aller, sans opposition, à la colère ou à la jalousie. Tant mieux si c’est le vent de la charité ou de l’obéissance, car elles seront alors charitables ou obéissantes. Si la fantaisie de dire une impertinence ou une incongruité traverse leur cervelle, voilà que déjà l’impertinence ou l’incongruité est lancée. Les hystériques sont un peu semblables aux personnes qui ont pris du hachich. J’ai raconté ici même ce qui m’était arrivé après avoir pris une petite dose de cette substance. N’étant plus maître de moi, je me laissai aller sans détour à l’enthousiasme qu’avait provoqué un accident insignifiant. Cette exubérance, que je ne pouvais maîtriser, m’a sans doute rendu ridicule aux yeux des étrangers qui étaient à côté de moi.

Aussi ne sait-on jamais exactement à quoi s’en tenir sur les sentimens de telle ou telle personne hystérique. Toute prévision serait téméraire, et il y aura autant de bonnes raisons pour trouver cette personne bien disposée que pour la trouver mécontente. Ses sentimens d’ailleurs seront très passagers ; et elle ne croira pas nécessaire d’établir de transitions entre le rire et les larmes, le dépit et la satisfaction. Sa mauvaise humeur durera « le temps de retourner un sablier ; » et elle se comportera comme les enfans qu’on fait rire aux éclats, alors qu’ils ont encore sur la joue les larmes qu’ils viennent de répandre.

Malgré cette mobilité, cette spontanéité irrésistible, les hystériques manquent absolument de franchise : elles sont toutes plus ou moins menteuses ; moins peut-être pour faire un mensonge intéressé que pour en forger d’inutiles. Elles ont l’amour du mensonge ou plutôt de la tromperie. Rien ne leur plaît plus que d’induire en erreur ceux qui les interrogent, de raconter des histoires absolument fausses, qui n’ont même pas l’excuse de la vraisemblance, d’énumérer tout ce qu’elles n’ont pas fait, tout ce qu’elles ont fait, avec un luxe incroyable de faux détails. Ces gros mensonges sont dits audacieusement, crûment, avec un sang-froid qui déconcerte. Le médecin qui examine des hystériques doit songer sans cesse qu’elles veulent le tromper, lui cacher la vérité et lui montrer des choses qui n’existent pas, aussi bien que lui dissimuler celles qui existent. Les enfans sont dans ce cas, et c’est une grosse erreur de les croire pourvus d’une sincérité native. Personne n’est moins sincère qu’un enfant ; à cet âge on ment effrontément et