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Quelque chose d’analogue se passe dans la société tout entière. L’histoire nous a légué mille violations du droit dont les effets subsistent encore. La vraie société, pour réaliser l’idéal de justice contractuelle que poursuivent les nations modernes et qui est le type même du droit, devrait être, nous l’avons vu, un contrat d’association entre des hommes libres et égaux ; cette société selon l’idéale justice est-elle la société de fait ? Non, les justes conditions du contrat social ont été altérées par deux sortes de causes qui dépendent, les unes de la fatalité naturelle, les autres de la liberté humaine. D’abord, une nature avare, en produisant la lutte fatale pour la vie, provoque les hommes à l’égoïsme et à l’injustice. De plus, la liberté placée au sein de cette nature est elle-même imparfaite et toujours faillible. Ne pas tenir compte à la fois de ces deux causes, c’est ne voir que la moitié de la vérité, défaut commun. à deux genres d’esprit de tendances opposées, l’esprit de routine et l’esprit de révolution. L’esprit de routine rejette toute réforme en mettant les maux de la société sur le compte de la fatalité naturelle et en prétendant que tout est pour le mieux ou que, si tout n’est pas pour le mieux, c’est la faute de la nature et non des hommes. Certains économistes, dans leur optimisme exagéré, n’ont pas toujours échappé à cette tendance. L’esprit de révolution, au contraire, veut tout détruire pour tout réformer et accuse uniquement la liberté humaine des maux qui pèsent encore sur la société. Aucun des deux partis ne veut voir que la fatalité et la liberté sont ici réunies. Quoi qu’il en soit, puisque cette double cause altère les conditions normales et légitimes du contrat social, il faut combattre les deux causes à la fois et rétablir progressivement dans le contrat les conditions exigées par la justice. C’est à la liberté de réparer, autant qu’elle le peut, les maux de la fatalité, à plus forte raison de réparer le mal fait par la liberté même. Rétablir ainsi les conditions rationnelles du contrat social, tel est le but suprême et l’idéal de la justice réparative.

Maintenant, par qui la justice réparative peut-elle être exercée ? Est-ce par l’individu ? est-ce par la société ? — Cherchons d’abord la part qui revient à l’individu. Selon nous, elle consiste dans ce que les moralistes appellent les actes de « charité privée. » Ces actes peuvent être des œuvres de bienfaisance pure à l’égard de tel ou tel individu particulier qui se trouve être l’objet de notre assistance ; mais à l’égard de l’association dont nous faisons partie, lui et nous, ils redeviennent une simple justice. En effet, Auguste Comte n’avait pas tort de dire que « nous naissons chargés d’obligations de toute sorte envers la société. » De plus, la solidarité existe entre tous les hommes. Enfin il n’est personne qui puisse se flatter d’être sans faute et sans erreur ; or il n’est guère de faute ou