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et que Michel-Ange seul ne devait jamais admettre, malgré toute l’admiration qu’il éprouvait pour les marbres anciens, et malgré tout l’enthousiasme que lui inspirait le poème florentin.

Parlerai-je maintenant de la fidélité que Dante a su apporter dans les reproductions de la nature, du singulier relief qu’il s’est toujours efforcé de donner aux sujets de l’histoire ? Mais ses tableaux de la nature sont également célèbres par leur éclat poétique comme par leur rigoureuse exactitude, et les figures historiques dans la Divine Comédie forment une suite admirable de portraits aussi vivans, aussi individuels qu’ait jamais tracé pinceau de grand maître ! Ce n’est pas certes dans le poème florentin que Michel-Ange a trouvé le modèle pour le paysage fictif de son carton de Pise, ou pour les têtes imaginaires des deux Médicis dans le mausolée de Saint-Laurent ; rappelez-vous seulement le récit de la bataille de Campaldino et de la mort de Buonconte dans le cinquième chant du Purgatoire ; songez à l’empreinte indélébile, à l’impression iconique, qu’a laissée dans votre âme chacune des ombres évoquées par Alighieri ! Dante éprouve tellement le besoin de tout caractériser et individualiser qu’il invente des attributs divers et des noms spéciaux jusque pour ses nombreux démons : ces noms de Malebranche, Scarmiglione, Calacabrina, Graffiacane, Farfarello et Rubicante qui ont tant fait suer notre bon Landino. Il sent tellement la nécessité de rendre ses visions plastiques et tangibles, qu’il fait constamment appel aux images les plus courantes, aux souvenirs qui nous sont le plus familiers. Pour peindre la presse et le va-et-vient des pécheurs dans le cercle de Malebolge, il rappellera la foule romaine couvrant, un jour de jubilé, le pont qui mène à Saint-Pierre ; arrivé au fleuve bouillant de bitume où sont plongés les damnés, il déroulera le magnifique tableau de l’arsenal de Venise, « alors que pendant l’hiver bout la résine tenace qui sert à radouber les bois avariés ; » il comparera le géant Antée à la Carisenda, la tour penchée de Bologne, « qui semble aux regards prête à se renverser toutes les fois qu’un nuage passe au-dessus d’elle ; » ailleurs, les âmes emprisonnées dans de petites flammes le feront penser à ces lucioles que connaît tout Florentin, et que nous voyons précisément scintiller sur la pelouse devant nous. Contraste saisissant ! le sculpteur et le peintre de Saint-Laurent et de la Sixtine transporte dans une région inconnue, incommensurable pour nous, les personnages les plus réels de l’histoire profane, les types les plus usuels de l’histoire religieuse ; tandis que le poète de la Divine Comédie cherche à rapprocher de nous autant qu’il peut le monde d’au-delà, et à rendre visibles jusqu’aux ténèbres de l’enfer…

Ce monde d’au delà, Alighieri l’a dessiné et construit avec une rigueur et une précision extraordinaires, avec cette prédilection