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peinture soit revenue à des sujets analogues sous l’influence de la grande réaction religieuse, « de la nouvelle éruption du catholicisme » pour parler avec M. de Maistre, dont les Paul IV et les Sixte-Quint avaient donné le signal.


LE COMMANDEUR. — Mais elle y est revenue malheureusement sans la naïveté, sans la simplicité des anciens maîtres ; elle y est revenue enrichie de toute cette science d’anatomie, surchargée de toute cette exubérance plastique, rompue à ces difficultés du raccourci et visant en tout à cet extraordinaire et à ce colossal dont Michel-Ange lui avait laissé l’enseignement dangereux ! C’est précisément ce raffinement de la science à propos des sujets qui, en somme, font appel à notre foi la plus candide et la plus enfantine ; c’est cette disparate qui me blesse le plus, je l’avoue, dans les œuvres de ce genre dues au pinceau d’un Carrache, d’un Dominiquin ou d’un Guide, et combien je leur préfère telle peinture du XIVe ou XVe siècle, où nous n’avons à admirer ni le tumulte de la foule, ni la vigueur des bourreaux, ni le réalisme du supplice ; où nous n’admirons que le saint, que le martyr surmontant la souffrance par cette foi qui illumine son front, par ce regard qui, selon la belle expression de Dante, est déjà « la porte du ciel. »

LE MARCHESE :

E lui vedea chinarsi per la morte,
Che l’aggravava già, inver la terra,
Ma degli occhi facea sempre al ciel porte[1].

LE COMMANDEUR. — Je rends l’hommage le plus sincère, mon prince, aux considérations élevées que vous venez de nous présenter sur le caractère de notre contre-réforme dans la seconde moitié du XVIe siècle, et j’admets que notre art n’a pu échapper aux suites d’une évolution aussi générale et aussi profonde. « Mais tout cachet n’est pas bon, lors même que la cire en est de toute bonté, » a dit l’auteur :


… Ma non ciascun segno
È buono, ancor che buona sia la cera[2] ;


et il m’est impossible de reconnaître un buon segno dans l’empreinte ineffaçable que notre peinture et notre sculpture reçurent à ce moment critique de la main puissante de Buonarotti. La terribilità de la Sixtine n’était pas faite pour nous redonner des Giotto et des Fiesole ; elle ne pouvait en dernière conséquence produire que des Carrache et des Bernin, — et dès lors il me semble que, même dans le seul intérêt du sentiment religieux, il eût mieux valu s’en

  1. Purgat., XV, 109-111.
  2. Purgat., XVIII, 38-39.