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vue ; mais veuillez faire avec moi un simple rapprochement historique, qui n’a certes rien de forcé, puisqu’il s’agit du même art, dans le même pays et à la distance seulement de quelques générations. Représentez-vous d’abord cette époque unique dans l’histoire de la peinture qui va de Léonard jusqu’à la mort de Raphaël, cette époque si courte, si rayonnante et si radieusement encadrée de deux divins sourires, le sourire de la Joconde et celui de la Galatée. Ou bien rappelez-vous seulement la période plus courte encore, une période de trois lustres à peine, pendant laquelle Rome était devenue le centre de toute l’activité artistique de l’Italie, et put ainsi cueillir la fleur et le fruit d’une végétation de plusieurs siècles. Car c’est là une des merveilleuses originalités de notre art italien, qu’après s’être lentement développé à l’ombre des écoles de Florence, de Pérouse, de Milan, etc., il eut son dernier et splendide épanouissement dans cette Rome qui jusque-là l’avait comme ignoré, n’avait eu pour lui ni abri ni école, mais, à ce moment décisif, lui fit don de deux grandeurs qui n’étaient qu’à elle, la grandeur de la tradition chrétienne et la grandeur de la tradition classique. C’est d’ailleurs ce que le divin Sanzio sut indiquer dans un symbolisme magistral, alors que, dès son premier début à Rome et dans la première Stanza du Vatican, dont il put orner les murs, il donna l’École d’Athènes comme pendant à la Dispute du saint sacrement. Arrivée au plus haut degré de son développement et à sa perfection suprême, la grande renaissance fut l’union harmonieuse de la profondeur du sentiment chrétien et de la beauté de la forme classique. Je n’insisterai pas plus longtemps sur un thème aussi connu et aussi ressassé, et je me contenterai d’attirer votre attention sur le discernement admirable dont les maîtres de cette époque firent preuve dans le choix de leurs sujets. Ils évitèrent autant que possible les pages sombres de l’Évangile et s’en tinrent à ses tableaux pleins de douceur, de gloire, de mouvement et de vie : l’Enfance de Jésus, la Sainte Famille, l’Adoration des Mages, les Paraboles, l’Eucharistie, la Vision du Thabor, la Résurrection et l’Ascension du Christ, le Mariage, l’Assomption et le Couronnement de la sainte Vierge, la Délivrance de saint Pierre, la Prédication de saint Paul, etc. Dans le drame émouvant de la Passion, ils éludèrent discrètement les scènes de supplice, telles que la Flagellation, le Couronnement d’épines, le Crucifiement, et aimèrent mieux représenter la Mise au tombeau, — le moment où la mort ayant perdu son aiguillon ne laisse plus de place qu’à l’amour dévoué et à la douleur contenue, — et si le Spasimo de Sicilia fait exception sous ce rapport, il n’est pas sans intérêt d’apprendre que le groupe principal en est tiré de la Grande Passion de Dürer, Alberto Duro, comme on l’appelait de ce côté des Alpes :