Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dernier jour, — n’a laissé après elle que bien peu de monumens achevés et complets ; la plupart ne sont que les merveilleuses parties d’un grand tout audacieusement rêvé, mais jamais réalisé ; le reste n’est que projets, ébauches et épaves. Il n’est pas jusqu’au mausolée des Médicis que le maître n’ait abandonné avant de l’avoir fini, et à quelles mesquines proportions s’est trouvé réduit en dernier lieu, dans la triste niche de S. Pietro in Vincoli, ce tombeau de Jules II, d’une conception d’abord si gigantesque, mais qui maintenant ne nous offre plus qu’un seul et unique fragment de la donnée primitive ! il est vrai que ce fragment est toute une immensité, et qu’il s’appelle le Moïse ! Sans doute les contre-temps fâcheux, les vicissitudes politiques et privées, l’indigence de la famille et la rapacité des industriels, les démêlés avec les grands et avec les petits, avec les papes et avec les carriers, en un mot les tristesses et les misères ordinaires de l’existence humaine ont eu leur large part dans les mécomptes et les défaillances de l’artiste. Sans doute aussi, le hasard s’est montré parfois bien cruel envers quelques-uns des ouvrages de Buonarotti : tel de ses cartons comme celui de Pise a été lacéré et anéanti par des mains négligentes ou coupables ; tel bronze qu’il a coulé, comme la statue de Jules II, à Bologne, a péri dans une émeute populaire. Gardez-vous cependant de donner à ces circonstances tout extérieures et accidentelles une portée trop haute, et si dans les vastes domaines de Michel-Ange vous ne voyez presque partout que des ruines cyclopéennes, des blocs épars et d’immenses tronçons de colonnes et de figures, avant d’en accuser le ciel pensez à la nature volcanique du sol, à la nature volcanique de l’homme, surtout, qui y a établi son royaume. Il a été dans l’essence du génie de Buonarotti de procéder par des commencemens incessans, par des déceptions colossales et par de sublimes méprises ; il eut souvent à l’égard de l’inspiration, et dans le sens idéal, cette même inadvertance qui, dans le sens technique, lui est parfois arrivée, à ce qu’on affirme, avec ses blocs de pierre : il s’y attaquait dans un premier et fougueux emportement, sans avoir pris les mesures exactes, ni calculé les proportions, et ne s’apercevait que trop tard que sa pensée excédait sa matière ouvrable. Cela n’a certes jamais ébranlé sa foi dans son idéal, ni la noble confiance qu’il avait dans son génie ; mais je n’affirmerais pas qu’il n’eût eu par moment des doutes sur son art. Il n’admettait pas qu’il fût peintre ; il proclamait en maintes circonstances que l’architecture n’était point son fait ; et si d’ordinaire il aimait à être désigné du nom de sculpteur, il repoussait cependant à de certains momens jusqu’à cette dernière appellation. On a de lui telle lettre où il proteste contre l’adresse Michelangelo scultore : « Son nom, écrit-il, est Michelangelo Buonarotti, et il n’a jamais accepté de