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prétendues réformes qui ne sont que des bouleversemens, avec les passions violentes et ombrageuses de parti ou de secte.

Voilà toute la question. Les hommes peuvent changer, les ministères peuvent se succéder, les groupes se déplacent ou disparaissent, les choses restent les mêmes, les nécessités d’un ordre supérieur sont invariables. Le cabinet d’aujourd’hui, comme celui d’hier, a son choix à faire entre les deux systèmes de gouvernement, et c’est le nouveau président du conseil lui-même que nous appellerions volontiers en témoignage, en garantie de la seule politique possible, utile et honorable pour le régime qu’on veut fonder. Le programme de M. le ministre des travaux publics, devenu ces jours derniers ministre des affaires étrangères et président du conseil, ce programme n’est point un mystère, et il a d’autant plus d’autorité aujourd’hui qu’il n’a pas été fait pour la circonstance, qu’il est une sorte d’engagement anticipé. M. de Freycinet n’a pas laissé ignorer ses opinions sur la direction générale des affaires de la France ; il les a développées sous toutes les formes avec une persuasive éloquence, en parcourant dans l’automne de 1878 une partie des provinces, en s’arrêtant dans les principales villes, à Lille, à Douai, à Dunkerque, à Boulogne, à Rouen, à Nantes, à Bordeaux.

M. de Freycinet ne voyageait pas alors seulement en ministre ingénieur étudiant les intérêts des ports et des grandes industries nationales ; il voyageait aussi en politique, s’adressant à tous, aux chefs des municipalités, aux chambres de commerce, et à tous il tenait le même langage net et sensé, dans toutes les réunions il traçait le même portrait de la république telle qu’il la comprenait, — « sage, libérale, progressive, tolérante, » émule de « la monarchie parlementaire pondérée, mesurée et clairvoyante qui a fait le bonheur de l’Angleterre. » C’était le thème invariable de ses discours, plus que jamais dignes d’être rappelés aujourd’hui. M. de Freycinet ne cachait pas son ambition de faire aimer cette république sage, et aussi de la faire estimer pour les garanties qu’elle offrirait. « Nous avons aujourd’hui, disait-il, à doter la France d’un gouvernement stable et à assurer l’union dans le pays. Le gouvernement stable, savez-vous ce que c’est par ce temps de libre discussion et de souveraineté nationale ? C’est un bon gouvernement, il n’y a que ceux-là qui durent et qui méritent de durer. C’est ce bon gouvernement que nous devons nous appliquer à fonder… » Ce qu’il entendait par là, c’était « un gouvernement d’ordre, de paix et de travail. » Et à cette œuvre il conviait libéralement tout le monde sans exclusion, sans distinction de partis. « Nous sommes convaincus, disait-il, que, si la république sait se manifester par des œuvres utiles, si elle sait prouver, — et elle le prouvera, — qu’elle est un gouvernement d’ordre, de paix et de travail, non, il n’y a pas un bon Français qui ne finisse par venir se joindre à nous. » Il exceptait, bien entendu, les irréconciliables des