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naître un nouveau ministère qui se caractérise principalement par la retraite de M. Waddington, de M. Léon Say, et par l’entrée au pouvoir de quelques membres de la gauche ou de l’union républicaine, M. Cazot, M. Varroy, M. Magnin, sous la présidence de M. de Freycinet, qui passe au ministère des affaires étrangères. M. Jules Ferry, de son côté, ne quitte pas le ministère de l’instruction publique, et M. Lepère, après avoir été un moment le plus contesté, le plus abandonné des ministres, finit par rester à l’intérieur et aux cultes.

Comment s’est déroulée cette crise de quelques jours ? par quelle série de phases et de péripéties a passé ce travail dont le dernier mot est le ministère reconstitué d’aujourd’hui ? On se perd un peu en vérité dans ces négociations changeant de mains, tour à tour abandonnées ou reprises, dans toute cette diplomatie parlementaire, dans cette mixture variée d’élémens discordans, de gauche, de centre gauche, d’union républicaine. Le point essentiel et caractéristique, c’est que, M. Waddington et M. Léon Say ne pouvant rester dans une combinaison où leurs opinions n’auraient pas été suffisamment représentées, M. de Freycinet, chargé de refaire le cabinet, s’est trouvé conduit, peut-être sans le vouloir, à déplacer tout à fait ce qu’on appelle l’axe ministériel, à aller s’établir en pleine gauche. Il y a un an, c’était M. Dufaure qui commençait la retraite en s’effaçant pour laisser, comme il le disait, à des hommes nouveaux la direction et la responsabilité des affaires dans une situation nouvelle. Aujourd’hui, M. Léon Say et M. Waddington, après avoir honorablement rempli leur rôle jusqu’au bout, tant qu’ils l’ont pu et dans la mesure où ils l’ont pu, croient devoir s’effacer à leur tour par une résolution que M. de Freycinet a dû être le premier à regretter, qui accentue d’autant plus le nouveau cabinet. L’évolution suit son cours ; c’est pour le moment l’éclipse complète du centre gauche, qui cesse d’être représenté aux affaires. — Rien de plus simple et de plus logique, dira-t-on : le jour du centre gauche est passé ; c’est un groupe qui a fait son temps, qui est un appoint insuffisant dans les combinaissons parlementaires et qui, à lui seul, ne peut entraîner une majorité. C’est possible, et à dire toute la vérité, à prendre les choses comme elles sont, sans illusion et sans parti-pris, sans se payer de mots et d’apparences, la question n’est plus là précisément, elle n’est point dans ces répartitions proportionnelles de pouvoir qui sont la pierre philosophale des tacticiens, dans la part de gouvernement qui peut être attribuée aux divers groupes parlementaires. Que le ministère soit un peu plus ou un peu moins à gauche, il reste toujours un fait certain qui domine tout, c’est qu’aujourd’hui, comme hier, aujourd’hui peut-être encore plus qu’hier, il y a deux politiques : il y a la politique qui peut faire vivre la république en lui donnant le caractère d’un régime digne de la confiance du pays, et il y a la politique qui peut la précipiter, la ruiner rapidement en l’identifiant avec toutes les agitations, avec les